La désobéissance, d’Alberto Moravia

La désobéissanceSouvent, pourtant, ce même corps se rebellait, et cela quand Luca s’y attendait le moins, non point devant les tâches les plus dures, mais devant des choses insignifiantes. Luca, à cette époque, était sujet à des colères subites et violentes, durant lesquelles son organisme, déjà exténué, paraissait consumer en des paroxysmes et de haine le peu de forces qui lui restaient. C’était surtout la muette et inerte résistance des objets, ou, plutôt, sa propre incapacité à se servir de ceux-ci sans effort et sans dommage, qui avait le pouvoir de le jeter dans des fureurs dévastatrices.

Luca a 15 ans dans l’Italie des années 40. Issu d’une famille aisée, il est en pleine crise d’adolescence, et essaie de se détacher de tout ce à quoi il tient — son amour-propre, les objets, la gourmandise. Pour lui, cela ne peut qu’aboutir à la mort physique. Mais une gouvernante puis une infirmière vont lui servir d’initiatrices, et le ramener du côté de la vie.

C’est de manière très percutante que Moravia s’attache ici à analyser cette colère, cette frustration perpétuelle, cette impression que tout vous est hostile et que vous êtes inadapté au réel, bref, cette forme de dépression qu’est l’adolescence. Il s’agit bien, à de nombreux égards, d’un roman initiatique, avec ce que le passage à l’âge adulte peut contenir de rites magiques. Une mort symbolique, d’abord : en se détachant de tout ce à quoi il tient, tout ce qui lui procure (ou lui a procuré) joie et plaisir, Luca se détache de l’enfance, s’en sépare, et désobéit à l’injonction de vivre. Cette mort symbolique aboutit à une mort presque physique, puis une renaissance, grâce non à l’amour, mais à l’érotisme. Dans tout le roman, eros et thanatos s’opposent, s’affrontent, se mêlent, se côtoient. L’initiation a ici quelque chose de païen, sorte de mystère d’Eleusis doublé de rite sexuel où la divinité féminine s’incarne en femme mûre et sûre de son désir.

Parfois étrange, ce roman est d’une grande force car il nous pousse à réfléchir sur l’absurdité de l’injonction de vivre et sur la force de la pulsion de vie, malgré tout !

La Désobéissance
Alberto Moravia
Traduit de l’italien par Michel Arnaud
Denoël, 1949-2015