Les loyautés, de Delphine de Vigan

Les loyautés, de Delphine de ViganLes loyautés.
Ce sont les liens invisibles qui nous attachent aux autres — aux morts comme aux vivants —, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves.

J’ouvre (certes avec un peu de retard, mais comme vous l’avez compris ma vie est un peu chaotique en ce moment) le bal de la Rentrée littéraire d’hiver avec ce qui est sans doute l’un des textes les plus attendus, de tout le monde et de moi : le dernier roman de Delphine de Vigan qui, après Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie revient au genre qui l’a fait connaître, la fiction sociale.

Theo est un adolescent de 12 ans 1/2 dont l’attitude inquiète beaucoup Hélène, sa professeure de sciences : elle-même ayant été victime de violences dans son enfance, elle projette son passé sur Théo et est convaincue qu’elle doit le sauver. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Roman polyphonique, Les Loyautés se révèle un texte dur, douloureux, qui traite des thèmes difficiles et montre les failles et les parts d’ombre que nous avons en chacun de nous. Très bien mené et écrit, il s’achève pourtant, je trouve, sur un goût d’inachevé : l’histoire s’arrête, mais les situations sont toujours inextricables et il n’y a pas de réelle résolution. Peut-être que certaines choses auraient pu être davantage creusées et développées. Après, il est clair que la fiction sociale n’est pas un genre que j’apprécie plus que ça, ce n’est pas du tout de toute façon ce dont j’ai besoin en ce moment, et c’est sans doute la raison pour laquelle malgré ses qualités évidentes je suis un peu passée à côté : je préfère vraiment de Vigan sur d’autres terrains. Mais lisez-le, vous me direz !

Les Loyautés
Delphine de VIGAN
Lattès, 2018

Le dernier jour de ma vie, de Ry Russo Young

Le dernier jour de ma vie, de Ry Russo YoungPeut-être que pour vous il y aura un lendemain. Peut-être que pour vous il y en aura mille, ou trois mille, ou dix mille. Tellement de temps que vous pouvez savourer. Tellement de temps que vous pouvez gaspiller. Mais pour certains d’entre nous, ce jour est le dernier, et ce que vous en ferez aura de l’importance. 

C’est totalement par hasard encore une fois que je suis tombée sur ce film en navigant sur Netflix. Adapté d’un roman de Lauren Oliver paru en 2010, il pose la question des choix que nous faisons dans la vie.

Adolescente populaire, Samantha Kingston, une adolescente de terminale, se tue avec ses amies dans un accident de voiture en rentrant d’une soirée. A partir de là, elle est condamnée à revivre cette dernière journée de sa vie, jusqu’à ce qu’elle fasse les bons choix.

Sorte de Un jour sans fin sur le registre tragico-mélodramatique, ce film se laisse regarder sans déplaisir, et aborde des thèmes intéressants pour les adolescents : le harcèlement, la popularité, et le fait qu’en grandissant on fait des choix, pas toujours les bons, qui nous transforment, pas toujours en bien. D’un point de vue plus métaphysique, il est bien sûr question de chemins qui bifurquent et d’uchronie : Samantha a la possibilité, que nous n’avons jamais, de pouvoir, face à une même situation, tester différentes manières d’agir, se rendre compte que finalement la vie qui est la sienne ne correspond pas à ce qu’elle est, que le garçon dont elle est amoureuse n’est sans doute pas le bon, qu’elle ne profite pas assez de sa famille… La répétition en boucle de cette journée, dont elle se rend compte au final qu’elle l’a gaspillée (mais on ne sait jamais qu’on est en train de vivre son dernier jour, sauf exception), lui permet d’en profiter. Et d’agir mieux.

Alors, cela reste tout de même un film plutôt destiné aux adolescents, qui n’est pas exempt de maladresses, mais dans l’ensemble plutôt malin et intéressant !

Le dernier jour de ma vie
Ry RUSSO YOUNG
2016

 

Les Grandes Jambes, de Sophie Adriansen

Les Grandes jambesJusqu’à peu, j’étais une fille normale. Plutôt grande, d’accord, mais rien d’une géante. Et puis je suis entrée au collège, et là ma croissance s’est emballée. Tous mes vêtements sont devenus trop petits d’un seul coup, et depuis il faut en racheter de nouveaux tous les trois mois. Pour les manches, passe encore : j’arrive à tricher en remontant les pulls jusqu’aux coudes, et si je reste les bras bien tendus, même les manteaux paraissent ajustés. Mais pour les jeans, c’est la catastrophe. En trouver un qui me va se révèle mission impossible…

On ne peut pas dire qu’a priori je sois très concernée par le sujet de ce livre : sans être un mini-pouce, je ne suis pas très grande (je suis dans la moyenne quoi), surtout des jambes (j’ai un corps plus méditerranéen que nordique on va dire), ce qui fait que mon problème est inverse à celui de l’héroïne de ce petit roman : la plupart de mes pantalons doivent passer par la retouche avant d’être portables. Cela dit, je galère aussi à en trouver, à cause d’un ratio hanche/taille que les concepteurs de pantalons ont du mal à assimiler, donc en fait, je comprends quand même.

Le problème de Marion est donc apparu lorsqu’elle est entrée au collège : elle a grandi, grandi, surtout des jambes, et du coup tous les pantalons qu’elle trouve dans les magasins sont trop courts. Evidemment, à l’adolescence, âge auquel on veut se fondre dans la masse, c’est un problème de taille, sans vouloir faire de mauvais jeux de mots…

Avec beaucoup d’humour et de fraîcheur, ce petit roman aborde le problème de l’adolescence et du changement du corps : Marion a de trop grandes jambes, elle aurait pu tout aussi bien être trop grosse ou avoir les oreilles décollées — elle est différente de la masse. Tout le monde l’est, en fait. Et le sujet, lié à la découverte du sentiment amoureux, est traité de manière subtile, par le biais de l’art, la passion de Marion, qui adore les peintres Flamands, ce qui tombe bien car sa classe va aller en voyage à Amsterdam (ce qui tombe bien car j’y vais aussi bientôt, et la coïncidence, qui tend à se renouveler en ce moment, m’a beaucoup amusée) : du coup, ici, l’art et l’histoire servent de contrepoint et changent la vision du monde. La longueur du jean, finalement, c’est important, mais pas non plus essentiel…

Un très joli roman, drôle et bien écrit, à mettre entre toutes les jeunes mains !

Les Grandes Jambes
Sophie ADRIANSEN
Slalom, 2016

Lu par Leiloona, Antigone, Noukette, Stephie

Bianca, de Loulou Robert

BiancaIl m’a raconté qu’il avait entendu les infirmières dire qu’il l’avait bien cherché. Elles n’ont rien compris. On ne cherche pas un cancer, c’est lui qui vous trouve. Alors ça sert à quoi de vivre planqué derrière une vie saine à base de cinq fruits et légumes par jour, sans alcool, et sans risques. A rien si ce n’est à se faire chier toute sa vie.

Encore un premier roman aujourd’hui (décidément, les premiers romans sont très prometteurs en ce moment), dans un style totalement différent de celui d’hier, mais qui aborde pourtant des thèmes assez proches.

Bianca a 16 ans. Bianca a voulu mourir. Internée dans une unité spéciale réservée aux adolescents en souffrance, elle essaie de réapprendre à vivre.

Parfaitement maîtrisé, porté par une véritable vision du monde, ce roman aborde un thème éminemment difficile, celui du mal-être des adolescents : mélancolie, spleen, ennui, dépression, inadaptation au monde tel qu’il ne va pas, anorexie. Certains ne savent pas pourquoi ils vont si mal, c’est le cas de Juliette ; d’autres ne le savent que trop bien. Ici la pulsion de mort et la pulsion de vie s’affrontent. Se laisser couler ou remonter à la surface. Grandir, devenir adulte, c’est aussi accepter le monde réel tel qu’il est, dans toute sa laideur parfois, et s’accepter soi. L’une des grandes réussites du roman, c’est cette voix narrative extrêmement forte, celle de Bianca, une jeune fille très sensible, loin de la caricature de l’adolescent imbuvable que l’on a parfois dans les romans et qui nous donne juste envie de les gifler : au contraire, au contraire, elle est extrêmement attachante et touchante par son humour un peu désabusé. Cela donne un roman en équilibre sur un fil, entre la tristesse et la joie, la mélancolie et l’optimisme, flirtant à l’occasion avec quelque chose de très poétique.

Un très beau premier roman, très bien écrit, et qui aborde un thème essentiel de manière subtile et délicate, mais sans faux-semblants. Très positif, il est à mettre entre toutes les mains !

Bianca
Loulou ROBERT
Julliard, 2016

Finding Forrester (A la rencontre de Forrester) de Gus Van Sant

Finding ForresterNo thinking – that comes later. You must write your first draft with your heart. You rewrite with your head. The first key to writing is… to write, not to think!

L’autre jour, en effectuant quelques recherches sur Salinger, je suis tombée sur la mention de ce film, et je me suis bien demandé comment j’avais pu passer à côté : une histoire d’écrivain (ma marotte obsessionnelle), qui plus est incarné par Sean Connery ? Shame on me. Du coup, je l’ai immédiatement noté sur ma liste à voir, et il a grillé tout le monde dans la file d’attente. Et oui !

William Forrester, surnommé « rideau » par les jeunes du quartier du Bronx où il vit, passe ses journées enfermé dans son appartement, d’où il observe les oiseaux et les jeunes qui jouent au basket. L’un d’eux n’est pas comme les autres : Jamal, pour s’intégrer dans le groupe, se contente à l’école de notes moyennes et, comme les autres, passe son temps sur le terrain. Il est d’ailleurs un joueur brillant. Mais son temps libre, il le passe aussi à lire — et à écrire. Une nuit, suite à un pari, il pénètre dans l’appartement de Forrester, dont il ignore le nom, et qui se trouve être l’auteur d’un seul et unique roman devenu mythique…

Petit bijou d’humanité et d’espoir, ce film à la fois drôle et bouleversant interroge la notion de transmission. Jamal n’a pas de père, et c’est bien ce rôle qu’accepte de jouer dans sa vie Forrester, lui apprenant à croire en ses rêves malgré le déterminisme social et racial (Jamal est noir) et lui apprenant, surtout, comment on devient écrivain. Les deux s’apprivoisent petit à petit, et chacun se transforme au contact de l’autre : Jamal mûrit, Forrester rajeunit et s’ouvre à nouveau au monde qu’il avait déserté de nombreuses années auparavant. Sean Connery est absolument éblouissant dans ce film où il incarne une figure d’écrivain bourru et en marge du monde, mélange d’Hemingway (pour le physique) et de Salinger (pour le côté misanthrope et solitaire ainsi que pour l’unique roman mythique), en nettement plus sympathique néanmoins.

Particulièrement intéressantes également sont les scènes en milieu scolaire, qui nous permettent de voir comment aux Etats-Unis l’étude des oeuvres littéraire va de pair avec l’écriture créative… comme je rêverais que ce soit le cas en France !

Bref : une pépite, un film drôle et touchant, à voir absolument et sans délai !

Finding Forrester (A la Rencontre de Forrester)
Gus VAN SANT
2001

Amelia, de Kimberly McCreight

AmeliaAmelia n’avait jamais eu de problème de toute sa vie. Ses professeurs ne tarissaient pas d’éloges à son propos : brillante, créative, réfléchie, concentrée. Elle excellait en sport et était inscrite à toutes les activités extrascolaires imaginables. Elle était bénévole une fois par mois à CHIPS, une soupe populaire locale, et apportait régulièrement son aide lors des manifestations organisées avec le lycée. Exclue temporairement ? Non, pas Amelia. Kate, malgré son travail accaparant, connaissait sa fille. Vraiment. Il y avait erreur.

Un roman dont on commence à beaucoup parler : Amelia, c’est sans doute le thriller de la rentrée, qui ne manquera pas d’effrayer les parents d’adolescents. Car ce qui est en jeu ici est réellement terrifiant et angoissant !

Amelia est une adolescente vive et intelligente. Sa mère, Kate, l’élève seule, jonglant comme elle peut entre sa fille et sa brillante carrière d’avocate, le père d’Amelia ne faisant pas partie du tableau. Mais un matin Kate reçoit un appel de l’école d’élite dans laquelle est inscrite sa fille, lui apprenant qu’Amelia est exclue temporairement de l’établissement. Lorsqu’elle arrive sur place, Amelia a sauté du toit. C’est du moins ce que conclut la très rapide enquête de police. Rongée par le chagrin et la culpabilité, Kate tente de se reconstruire, jusqu’au jour où elle reçoit un SMS anonyme : « Amelia n’a pas sauté ». Kate commence alors à chercher qui était vraiment sa fille…

Totalement addictif, ce roman est un page turner d’une efficacité redoutable : dès les premières pages, le lecteur est ferré, grâce à la construction narrative qui alterne le point de vue d’Amelia avant sa mort, et l’enquête de sa mère, l’un éclairant l’autre de manière dramatique, puisqu’on ne peut que voir l’enchaînement implacable des événements menant à l’issue fatale — pas de suspens de ce côté-là, l’enjeu est de savoir exactement ce qui s’est passé, et les pistes abondent, toutes plus cruelles les unes que les autres, tant aucun ne semble innocent. Plongée au coeur du système scolaire américain et de ses sororités qui fonctionnent comme des sociétés secrètes, le roman décortique alors le mal-être adolescents, les premières amours et les mécanismes du harcèlement, utilisant avec habileté toutes les technologies modernes.

Un thriller efficace, que vous ne lâcherez pas avant la fin et qui ne vous lâchera pas avant longtemps !

Lu également par Stephie

Amelia
Kimberly McCREIGHT
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elodie Leplat
Cherche-Midi, 2015

RL201519/24
By Hérisson

La Petite Galère, de Sacha Després

La petite galèreÇa fait maintenant quatre ans que Caroline a avalé la pharmacie. Laura va sur ses seize ans. Sa seule famille, c’est Marie. Les autres sont fâchés, morts ou partis, excepté Charles, perdu dans l’entre-deux. Lo se rend bien compte qu’elle traîne derrière elle quelques boulets. Heureusement que le ventre tiède de sa soeur est tout prêt. Elle n’a d’autre choix que de se laisser pénétrer par le monde et regarder ce que ça lui fait. Laura imagine que c’est ça être adulte. Accepter l’idée que demain ne sera pas forcément mieux qu’hier et y aller quand même.

Encore un premier roman qui s’avère une belle découverte, et vers lequel j’ai été portée par le travail d’ensemble de Sacha Després, dont les oeuvres (elle est peintre et l’illustration de couverture est d’ailleurs un de ses tableaux) s’intéressent à la figure féminine de manière assez frappante je dois dire. Et c’est le cas également dans ce roman.

Depuis le suicide de leur mère Caroline, Laura et Marie, plus ou moins abandonnées par leur père, vivent seules : Marie, l’aînée, a pris en charge sa cadette de dix ans, s’occupe du quotidien mais aussi de la faire devenir femme.

La Petite Galère, c’est La Petite maison dans la prairie version trash. La série, présente en filigrane dans tout le roman, sert à la fois de référence et de contrepoint : la mère s’appelle Caroline, le père Charles, les deux filles Marie et Laura, l’amie Nelly et l’amant Wilder, mais les barres de béton de la banlieue sinistre, ironiquement appelées « la prairie », ont remplacé les vastes étendues du grand ouest américain, et la famille idyllique est devenue dysfonctionnelle. Parents séparés, père qui s’en fout, mère dépressive qui finit par avaler une dose massive de cachets. Comment grandir, se construire, devenir femme au milieu de ce marasme social et intellectuel ? Les deux soeurs, bien qu’ayant une relation fusionnelle (mais par certains côtés assez perturbante), sont très différentes : Marie, la Jolie, déjà adulte, fait rêver les hommes et enchaîne les relations qui ne mènent à rien ; Laura, la Petite, grandit, découvre l’amour et le désir, apprend de sa soeur la féminité, la séduction, comment faire bander les hommes, et finit par perdre sa virginité avec celui qu’il ne faudrait pas. Assez troublant, délicatement érotique sans trop en faire, le roman est porté par une construction narrative assez intéressante et ingénieuse, qui lui permet d’être à la fois pessimiste et lumineux, et une écriture percutante.

Un roman déconcertant, qui est aussi un joli hommage aux mots et à la littérature, et qui mérite assurément d’être découvert !

Lu par Stephie

La Petite galère
Sacha DESPRÉS
L’Âge d’homme, 2015

68 premières fois3/68
By Charlotte

RL201510/12
By Hérisson