Le fils, de Florian Zeller : détresse adolescente

Ce que j’aurais voulu, c’est ne jamais avoir mon âge. C’est trop compliqué, je trouve. Il y a trop de responsabilités. Trop de pression. Je préférais quand j’étais un enfant. Et en plus, je ne sais pas danser.

J’avais cette pièce dans ma bibliothèque depuis des lustres, mais je n’avais encore jamais pris le temps de la lire. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. Mais l’autre soir, je cherchais quelque chose de court, et sur une pile, elle était là, et je me suis dit que c’était le moment.

Nicolas a 17 ans, et il vit avec sa mère depuis le divorce de ses parents. Lorsqu’elle apprend que son fils sèche le lycée depuis des mois, elle demande l’aide de Pierre, son ex-mari, qui vient d’avoir un deuxième enfant. Nicolas s’installe dans ce nouveau foyer, mais les choses ne s’arrangent pas, et il plonge peu à peu dans une profonde dépression qui laisse son entourage démuni.

Un très beau texte sur la dépression, adolescente mais pas seulement : ce dont il est question, ce n’est pas uniquement de la maladie, qui longtemps se cache même si le spectateur n’est pas aveugle, mais aussi de ses répercussions sur l’entourage, qui se sent démuni et ne sait pas comment aider Nicolas. Et le thème central, c’est bien cette incompréhension profonde entre les êtres qui pourtant s’aiment mais ne savent pas se parler, en l’occurrence Nicolas et son père, qui ont des scènes magnifiques et émouvantes entre eux. Et la fin m’a brisé le cœur.

Une pièce que j’aimerais voir sur scène

Le Fils
Florian ZELLER
2018

Journaux de jeunesse d’Anaïs Nin : journal d’enfance (1914-1920), l’éclosion d’une jeune femme

Les soirées j’écris dans ma chambrette, pour noyer dans les rythmes d’un poème mon éternelle prière pour de l’amour, de la sympathie, une audience pour mes pauvres poésies, des conseils que je mérite si peu mais dont j’ai tant besoin. J’ai tout trouvé dans les livres pour charmer ma solitude, mais ils n’enseignent pas à vivre, ils m’aident plutôt à élargir l’étendue de mon autre vie de fantaisies et de parfaite beauté.

Une de mes grandes entreprises actuelles, c’est la lecture des journaux d’Anaïs Nin, qui va sans doute m’occuper de nombreux mois. Et j’ai choisi de commencer non par le premier qui a été publié, mais le premier écrit et qui se trouve être le dernier a avoir été confié au public, le volume appelé « journaux de jeunesse« , qui couvre la période 1914-1931, et j’ai décidé d’en parler au fur et à mesure de ma lecture des différents tomes qui le constituent.

Commençons donc par ce qu’Anaïs Nin, qui donnait des titres à ses journaux, a appelé « journal d’enfance » (mais qui aurait pu s’appeler « journal d’enfance et d’adolescence »), et qui couvre la période allant de l’arrivée à New-York en 1914, moment auquel Anaïs Nin commence à écrire un journal, à 1920, lorsqu’elle change de langue et commence à écrire en anglais. Toute cette période est donc directement écrite en français.

Mon ambition étant de voir les transformations et le cheminement d’un être, ce premier journal est particulièrement important puisqu’on la voit passer de petite fille à jeune fille. Et c’est une enchantement d’assister à cette éclosion. J’avoue que les premières années sont parfois un peu pénibles à lire : cela reste un journal d’enfant, assez touchant et naïf mais souvent grandiloquent : elle a des bouffées de patriotisme et de religiosité qui ont de quoi laisser perplexe. Elle est également très sévère avec elle-même, et c’est surtout une enfant très malheureuse et triste dont le journal est le fidèle compagnon qui aide à vivre.

Et j’ai aimé la voir se métamorphoser, affirmer sa manière d’être : une enfant puis une jeune fille solitaire et rêveuse, qui s’échappe de la réalité grâce aux livres et à l’imaginaire (je l’ai déjà dit mais cette tendance à l’échappement c’est un des traits caractéristiques du signe des Poissons que nous avons en commun), très sensible à la beauté et à l’émerveillement, et qui rêve d’amour. Et très tôt, cette certitude sur son destin : écrire.

Et encore une fois, ce qui m’a frappée, c’est cette impression extrêmement troublante de me lire, à la fois l’enfant et la jeune fille que j’étais et la femme que je suis aujourd’hui, à travers ses pages. Il y a même des synchronicités, des événements similaires ou vécus similairement qui m’interpellent. Cela fait vraiment un effet très bizarre, et même si je progresse lentement j’ai hâte de lire la suite !

Journaux de jeunesse (1914-1931) / I. Journal d’enfance (1914-1920)
Anaïs NIN
Stock, 2010

Peines mineures, de Sonia Chiambretto : insoumises

Nous — filles bien nées filles bien nées filles mal nées filles de divorcées filles non désirées filles nées de la collaboration dans l’après-guerre filles intelligentes filles créatives filles précoces filles spirituelles filles débrouillardes filles curieuses  — nous ne sommes ni vulgaires ni versatiles ni vénéneuses ni vilaines ni violentes ni vengeuses ni véhémentes ni vicieuses ni mauvaises ni superficielles ni caractérielles ni asociales ni méchantes ni délurées ni des traînées ni des âmes perdues.

J’aime beaucoup cette collection « Des écrits pour la parole » des éditions de l’Arche, qui propose des textes forts et engagés, qui posent des questions essentielles pour la société.

Ici, le sujet, c’est la délinquance féminine : un récit choral, qui met en miroir des gamines d’aujourd’hui enfermées dans un centre éducatif fermé suite à des délits de trafic de drogue ou faits de violence, et des adolescentes enfermées à l’internat du Bon Pasteur à la fin des années 1950, coupables d’avoir tout simplement voulu exister.

Malgré les différences, la même accusation : celle d’être des insoumises, de dépasser des cadres qu’on leur a fixés.

Un texte coup de poing, plein de désespoir, de violence, et animé par une soif de liberté qui déborde de partout. Car c’est bien de cela dont il s’agit : elles veulent être libres, et si la manière dont les premières assouvissent ce besoin est discutable, la pulsion, elle, ne l’est pas. Elles refusent de se soumettre, crient leur rage et leur révolte d’une manière parfois poétique dans sa brutalité, restent des gamines qui ont soif d’amour, et l’ensemble donne un texte très troublant, qui mérite vraiment d’être découvert !

Peines mineures
Sonia CHIAMBRETTO
L’Arche, 2023

Ecrire sur son adolescence ?

Après avoir lu son livre L’Âge bête, j’ai assisté à la masterclass de Géraldine Dormoy sur le sujet d’écrire sur son adolescence, l’idée étant de partir à la recherche de celle que l’on était, de traverser un labyrinthe dans lequel on se perd mais au bout duquel on peut enfin la rencontrer, cette jeune fille qu’on a été. Selon Géraldine, c’est un voyage émotionnel, dans le temps, par lequel il faut se laisser traverser. Pour, enfin, se réconcilier.

Soutenue par un groupe créé à cet effet, je suis partie en quête de souvenirs. J’ai retrouvé des photos. Des objets. J’ai écouté des musiques, regardé des publicités, quelques génériques.

Mais je n’y arrive pas. Ce n’est pas de la peur : cette peur des profondeurs qui fait partie du processus d’écriture, je la connais, je l’ai apprivoisée. Ce n’est pas, non plus, une question de moment, parce que je suis déjà accaparée par d’autres textes, par Adèle, déjà, et par le Truc, toujours (cela dit, Le Truc est un lieu où je pourrais parler, et où, d’ailleurs, j’en ai parlé).

Simplement, je crois que ça ne m’intéresse pas. Plus. Quand je regarde cette photo, je ressens de la colère, vis-à-vis de ceux qui ont rejeté cette jeune fille, se sont moqué d’elles, l’ont abîmée. Je ne retrouve aucune autre émotion. Et comment écrire, sans émotions ?

J’ai déjà écrit sur le harcèlement, le rejet, sur l’ennui que me procurais l’école. Sur mes liens difficiles avec les autres. Et je suis arrivée à la conclusion que ça ne m’intéressait pas de creuser davantage.

Mon adolescence a été un long tunnel, j’ai beaucoup lu mais rien vécu de très intéressant, et j’aurai beau creuser, je ne comprendrai pas pourquoi les autres ne m’aimaient pas et ne voulaient pas de moi. Pourquoi j’ai accepté une relation toxique de plusieurs années avec une fille qui me faisait croire qu’elle était ma meilleure amie alors qu’elle passait son temps à m’humilier. Pourquoi les garçons ne me regardaient pas. Pourquoi, pourquoi, pourquoi…

Pourquoi je ne me sentais pas moi-même. Ou plutôt : pourquoi je n’étais autorisée à être moi-même que seule, dans ma chambre, dans mon imaginaire, lorsque j’écrivais ou rêvassais. Pourquoi l’extérieur, depuis toujours, était le lieu où j’étais désaccordée. Où je ne pouvais pas vivre ce que je voulais vivre.

Et comprendre, c’est tout ce qui m’intéresserait, mais c’est bien sûr impossible…

Ou plutôt, est-ce que je n’ai pas déjà compris que simplement, adolescente, j’étais déjà celle que je suis aujourd’hui, en décalage, et que c’est aussi ce qui fait ma force parce qu’aujourd’hui j’ai des gens qui m’aiment exactement comme je suis ?

Et puis, ce n’est peut-être pas très grave, en fait ! Je me suis construite autrement, j’ai géré les failles, les manques, la nostalgie de ce que je n’ai pas vécu, et l’adolescente que j’ai été elle est toujours là, c’est aussi ma part d’écrivain même si ce n’est pas là-dessus que j’écris, en tout cas directement.

Et je crois que malgré tout, même sans avoir les réponses, je me suis libérée et je suis passée à autre chose.

L’Âge bête, de Géraldine Dormoy : instantanés d’adolescence

Je referme la porte de mon adolescence en paix. Il n’y a plus d’animosité ni de rancœur, plus de honte surtout. Chaque humiliation a été éventée, auscultée, remise en perspective. Dire ce que j’avais maintenu caché a dégonflé les monstres. J’ai vidé mon sac de souvenirs pesants. Les regrets se sont dissous. On peut penser ce que l’on veut de mon texte, j’ai fait ma part. J’ai fouillé ma mémoire, déterré ce qui avait besoin de l’être. J’ai composé avec mes oublis et ce que je ne pouvais pas dire car cela impliquait trop de personnes. J’ai visé la justesse en dépit des manques. Je me suis réapproprié mon histoire. Je l’ai réécrite, tout ne s’est pas passé exactement comme je le raconte, mais j’ai veillé à ne pas la dénaturer. Elle sonne vrai à mon oreille.

Il y a une synchronicité (et même une meute de synchronicités) intéressante au sujet de de récit dans lequel Géraldine Dormoy ausculte son adolescence. Il se trouve que j’étais moi-même en train d’ausculter la mienne et d’essayer de me libérer de certains souvenirs traumatiques de harcèlement, d’humiliation, de rejet. Et j’ai fini par faire ce tirage de Tarot, qui m’incitait à écrire. Mais il m’incitait aussi à lire, et à avoir confiance dans le pouvoir de la littérature, puisque le jour où l’article est paru, j’ai reçu le livre de Géraldine. Et j’ai compris que c’était un « cadeau » pour m’aider à me libérer moi-aussi.

En effet, dans ce récit constitué d’instantanés d’adolescence, Géraldine Dormoy livre ses souvenirs, les événements joyeux ou beaucoup moins qui ont émaillé sa vie entre son entrée au collège et son bac : ses parents et la famille, les amis, les premiers émois, la difficulté de plaire, les déceptions, les hontes, les difficultés de se projeter dans la vie. Le récit se double d’une réflexion passionnante sur le fait d’écrire sur soi.

Autant vous dire que j’ai adoré ce récit, que je l’ai dévoré en une journée et qu’il m’a fait beaucoup de bien : il s’agit ici de se réconcilier avec cette période de la vie qui n’est facile pour personne, mais moins encore pour certains que pour d’autres, de se réapproprier ses souvenirs, mais sans nostalgie, et en le faisant pour elle, Géraldine le fait aussi pour son lecteur, et en cela ce texte très intime (et vraiment je suis admirative du courage qu’il faut pour se dévoiler avec autant d’authenticité et de se montrer aussi vulnérable) atteint une dimension universelle, en tout cas générationnelle : il a fait jaillir quelques souvenirs, m’a à l’occasion fait sourire, certaines choses se sont mises à tourner en boucle dans ma tête pour finalement se dégonfler et s’envoler. J’ai adoré la fin, où elle parle de la mode, parce que c’est le chapitre qui a éveillé les meilleurs souvenirs.

Il y aurait encore tellement de choses à dire sur ce récit qui m’a profondément touchée, et m’a fait avancer d’un grand pas. Je ne serai jamais nostalgique de cette époque, mais ce texte cathartique m’a permis de la regarder autrement ! Merci Géraldine !

L’Âge bête
Géraldine DORMOY
Robert Laffont, 2022

Claudine à l’école, de Colette : une jeune fille en fleurs

Je m’ennuie à l’école, fâcheux symptôme, et tout nouveau. Je ne suis pourtant amoureuse de personne. (Au fait, c’est peut-être pour cela.) Je fais mes devoirs presque exactement tant j’ai la flemme, et je vois paisiblement nos deux institutrices se caresser, se bécoter, se disputer pour le plaisir de s’aimer mieux après. Elles ont les gestes et la parole si libres l’une avec l’autre maintenant, que Rabastens, malgré son aplomb, s’en effarouche, et bafouille avec entrain. Alors, les yeux d’Aimée braisillent de joie comme ceux d’une chatte en malice, et mademoiselle Sergent rit de la voir rire.

Un jour, alors que je devais avoir douze ans, ma maman est revenue de la librairie avec deux livres : La Petite Fadette, de George Sand, qui m’a passablement ennuyée, et Claudine à l’école, que j’ai dévoré sur la plage comme en témoignent les grains de sable qui étaient encore collés contre les pages et se sont répandus partout sur mon canapé (il devait y avoir beaucoup de vent lorsque je l’ai lu, car il y avait vraiment beaucoup de grains de sable), et qui m’a illuminée. Et l’autre jour, soudainement mais pas sans raison (cela a un peu à voir avec le projet Adèle), j’ai eu envie de relire Colette, et en particulier ce roman, dans l’exemplaire qui m’a tant émue, même si le nom de Willy sur la couverture a tendance, aujourd’hui, à m’agacer. Bref.

Claudine à 15 ans : à l’école, elle fait partie des grandes et des meilleures élèves qui, en juillet, passeront leur brevet. Elle vit seule avec son père qui ne s’intéresse qu’aux limaces et lui laisse une grande liberté, et c’est une jeune fille vive, brillante, au caractère affirmé, ce qui la rend parfois insolente. Ce roman est celui de sa dernière année d’école, marquée par des émois amoureux extrêmement divers.

Il y a un plaisir sans nom à relire comme ça un roman que l’on a adoré 30 ans plus tôt, et à y rechercher les traces de la jeune adolescente qu’on était. Effrontée, insolente parfois, libre et assoiffée de liberté, indisciplinée, Claudine est également assez sûre du pouvoir qu’elle exerce sur les autres, ses camarades de classe, ses institutrices et les hommes, aussi : elle charme, séduit, flirte, et en même temps elle reste d’une grande candeur, ce qui la rend si attachante. Gentiment licencieux, je comprends que ce roman et son héroïne aient plu à l’adolescente que j’étais, d’autant que je crois qu’il a contribué à forger mon imaginaire. Ce que je comprends moins c’est pourquoi par la suite je n’ai pas continué à lire la série, alors que j’ai lu d’autres Colette. Je vais donc m’y atteler…

Claudine à l’école
COLETTE
Librairie Paul Ollendorff, 1900 (Livre de Poche)

Ce qui coule dans nos veines, de Sophie Adriansen : le poison

Nous vivons un amour fou. Un amour tel que je n’osais croire que j’y goûterais un jour. La passion des livres de Jane Austen, Dickens et Tourgueniev, de Chateaubriand et de Madame de Staël mais sans le pessimisme, sans le désespoir, sans le déséquilibre ni la souffrance. Qui a dit qu’un premier amour était forcément malheureux et destructeur ? Adam et moi vivons une relation d’exception, et elle va durer. Lui comme moi avons une foi inébranlable en notre avenir. Parce que nous possédons quelque chose que personne n’a. Un amour unique nous lie, et nous ferons ce qu’il faut pour le préserver. 

Attention, article totalement décousu en approche mais je n’ai pas pu faire mieux tant ce roman pour adolescents a remué de trucs.

Pour Garance et Adam, c’est l’évidence : ils sont faits l’un pour l’autre. Mais quelques semaines après leur rencontre, Adam découvre qu’il est atteint d’une leucémie, et ses convictions religieuses lui interdisant les transfusions sanguines, il ne peut avoir accès à la chimiothérapie. Portée par son amour, Garance essaie de le sauver, mais peut-on sauver quelqu’un pour qui les dogmes religieux sont plus importants que la vie et l’amour ?

Cela fait quelque temps que j’ai terminé ce roman sans parvenir à écrire cet article tant il m’a profondément bouleversée, donc. Disons que je l’ai trouvé très dur émotionnellement parce qu’il appuie sur deux de mes plus grandes angoisses : la maladie et le dogmatisme religieux. Surtout le deuxième, du coup, et c’est ce qui fait que j’ai été folle de rage durant toute ma lecture (cela dit, cela fait sens puisque la question de la liberté était justement ce que me fait travailler l’Univers en ce moment) : le choix très malin de Sophie est que le roman est entièrement construit du point de vue de Garance, et que très vite d’ailleurs Adam disparaît concrètement puisqu’il est loin, qu’elle n’a presque aucun contact avec lui, et qu’elle est donc seule à essayer de se battre — et à essayer de comprendre l’incompréhensible : comment une mère peut placer ses croyances idiotes au-dessus de la vie de son enfant, comment un homme peut-il sacrifier sa vie et son amour au nom d’élucubrations sans fondement ?

Le roman interroge le libre-arbitre, et on imagine bien qu’il n’a pas du tout amélioré mes rapports avec les dogmes religieux (et cette secte en particulier que tout le monde a reconnu mais que je ne nommerai pas). A réserver au grands adolescents parce que, encore une fois, c’est un excellent roman mais il est très dur je trouve et il m’a un peu traumatisée. Moi, ma philosophie de vie, c’est que la seule vraie religion, c’est l’amour !

Ce qui coule dans nos veines
Sophie ADRIANSEN
Gulf Stream, 2019