J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté, Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.

L’autre jour, toute à mes découpages et collages, j’ai mis ce poème de Jodelle sur une page sans trop le lire. Et quand je l’ai enfin regardé de plus près, la page terminée, j’ai souri : d’abord parce qu’il m’a semblé être un signe vu qu’il correspond pas mal à certaines choses de ma vie. Et puis j’ai trouvé finalement que c’est un peu la suite du poème de Marbeuf : on a pris des risques, essuyé des tempêtes, mais à la fin tout est bien. Espérons, en tout cas. Mais ce n’est pas au milieu du chemin qu’il faut faire demi-tour, de toute façon et ce poème est un magnifique texte sur l’absence de l’être aimé et les épreuves à traverser avant de trouver la joie !

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde
Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,
Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde :
 
Comme un qui erre aux champs, lors que la nuit au monde
Ravit toute clarté, j’avais perdu long temps
Voie, route, et lumière, et presque avec le sens,
Perdu long temps l’objet, où plus mon heur se fonde.
 
Mais quand on voit, ayant ces maux fini leur tour,
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.
 
Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,
J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.

Etienne Jodelle, « Comme un qui s’est perdu », Les Amours (16e siècle)

Les vérités provisoires, d’Arnaud Dudek

Les vérités provisoires Arnaud Dudek AlmaPour l’heure, Jules, le frère, vient d’emménager dans l’appartement de Céline. Deux ans et trois mois après la disparition. Partout où les gens vivent les souvenirs s’accumulent, comme les sédiments dans le lit d’une rivière* ; Jules a décidé de vivre parmi les sédiments de Céline Simone Gabrielle Carenti. Dans son musée, même, puisqu’on n’a touché à rien, puisque tout y est resté figé. Il s’agit d’une sorte de retraite, de pèlerinage. Bref. Jules fume une cigarette roulée. Il contemple de gros nuages noirs depuis le balcon. Et nous l’y rejoignons.

Parce qu’il n’y a rien de plus ennuyeux que les vérités définitives, le quatrième roman d’Arnaud Dudek nous en propose des provisoires.

Deux ans après la disparition non élucidée de sa soeur Céline, Jules Carenti s’installe dans son appartement, où rien n’a bougé, et dont le père a continué de payer le loyer. Le trait particulier de Jules ? Un rapport très personnel à la vérité et au monde. Et là, au milieu des objets de sa soeur, des restes de sa vie, il découvre des éléments qui l’intriguent, et décide de reprendre lui-même l’enquête.

Un roman court mais foisonnant, mené tambour battant par un narrateur interventionniste qui ne cesse de rappeler à son lecteur, par petites touches souvent humoristiques, qu’il est le maître du jeu. Rien d’étonnant : derrière l’apparence d’une intrigue policière, ce qui est en question ici c’est la relation complexe de la vérité et du mensonge, du réel et de la fiction. Jules ment comme il respire, d’autant que doté d’une mémoire très précise il parvient à ne pas se couper, ment pour rien, sans raison, pour de petites choses comme pour de grandes choses. Mais finalement, tout le monde ne ment-il pas ? Tout le monde ne réarrange-t-il le réel à sa guise ? Et Céline ? En cherchant sa soeur, qui lui manque, dont l’absence le mine, et en se servant du mensonge, son seul atout, comme porte d’entrée dans son enquête, n’est-ce pas lui finalement que Jules finira par trouver ?

Un roman très plaisant à lire, vif et plein d’humour, et en même temps sensible et délicat, qui aborde des thèmes essentiels : la famille, l’absence, la perte, le deuil — la quête de soi. Des personnages attachants dans leur fragilité. A découvrir !

Une lecture que je partage avec Leiloona !

Les Vérités provisoires
Arnaud DUDEK
Alma, 2017

*NDLR : je ne peux que confirmer ce fait : les couches sédimentaires s’accumulent, et bonjour la galère quand on déménage.