Ce placard était celui de l’appartement où j’ai grandi. Il donnait contre le mur de ma chambre. Et l’arsenal, c’était celui de mon père, avec lequel il nous avait clairement fait comprendre qu’à la première occasion il nous buterait tous, mon frère, ma mère, et moi.
Décidément, les premiers romans de cette rentrée littéraire recèlent des textes très forts. Comment j’ai tué mon père en fait partie, clairement.
Élevé par une mère qui lui voue un culte, le père du narrateur a grandi avec l’idée qu’il était un être exceptionnel : égoïste, borné, beauf et vulgaire, il est aussi très violent et collectionne les armes avec lesquelles il menace de tuer tout le monde à la moindre incartade. Pas un pervers narcissique, comme c’est tellement la mode, mais un vrai connard, un tyran domestique qui fait régner la terreur sur sa famille jusqu’à sa mort. Comment grandir, comment se construire avec un père pareil ?
Dès le début, l’aspect brut, la violence sans fard prennent à la gorge, les mots cognent comme les poings de ce père, ce salaud ordinaire qui se croit viril en frappant sa femme et ses enfants, alors qu’il n’est qu’un pantin incapable de penser par lui-même. Mais le tour de force de ce roman est d’arriver à parler de l’effroyable, et de la manière d’y échapper, en somme de « tuer le père » (au sens psychanalytique, même si le narrateur y pense au sens premier et le lecteur avec lui), sans être larmoyant ni sombrer dans le pathétique : au contraire, il fait preuve d’une grande ironie. Et d’une grande lucidité : ce n’est pas une plainte, mais une analyse presque sociologique des ressorts de la violence ordinaire, de la banalité du mal, dans un milieu que l’on croirait épargné. Si le déterministe est en partie historique et géographique, celui de la Moselle et de la fin d’un monde dans les années 80, et que le narrateur se livre à une enquête sur sa famille, le fait est que de par leur profession, le père et la mère appartiennent à la classe moyenne : flic pour lui, enseignante pour elle. Très éduquée, elle se laisse pourtant faire, accepte tout, les humiliations et les coups, et clairement ça fait un peu mal au féminisme, même quand on sait que dans ces cas-là ce n’est pas si facile qu’on croit, bien sûr…
Un roman fort, percutant, parfaitement maîtrisé, une histoire de résistance et de résilience qui ne peut pas laisser insensible !
Comment j’ai tué mon père
Frédéric VION
Flammarion, 2015
33/36
By Hérisson
8/68
By Charlotte