Le Printemps suivant – 2. Après la pluie, de Margaux Motin : le grand oui de la vie

Rien n’est facile… Mais si je prends soin de moi, pleinement… Et si je suis attentive à lui… sincèrement… Alors, je crois que tout est possible…

J’attendais cet album, la suite de Vent Lointain, avec beaucoup d’impatience, mais quitte à avoir attendu, je me le suis réservé pour un moment où je pourrais pleinement en profiter, ce que j’ai fait l’autre après-midi : j’étais fatiguée, le moral n’était pas au mieux, et je me suis dit que ce serait parfait pour me donner une bouffée d’air frais tant, je l’ai déjà dit, j’adore le travail de Margaux Motin.

A la fin du tome précédent, nous avions quitté Pacco et Margaux un peu fâchés, et nous les retrouvons au bord de la séparation : Pacco boude, et toutes les tentatives de réconciliation de Margaux semblent se heurter à l’échec. Ce qui la renvie à une période douloureuse de son enfance : la séparation de ses parents, et son sentiment d’avoir été abandonnée par son père, et la peur qui ne la quitte pas de l’être à nouveau, ce qui l’empêche de faire confiance.

A nouveau il s’agit d’un magnifique album, à la fois léger et plein de vie, et d’une grande profondeur : l’amour, le couple, ce n’est pas facile, c’est du travail, et aussi un creuset de transformation : notre âme sœur, ce n’est pas l’amour sans nuages. Son rôle dans notre vie, c’est aussi de venir mettre au jour nos blessures enfouies, nos peurs profondes, pour nous permettre de nous en libérer, et c’est ce que montre magnifiquement cet album, avec beaucoup de douceur et de poésie. Et l’autrice s’y met à nu avec beaucoup d’authenticité : si elle apparaît toujours un peu fofolle, parle aux abeilles (même si elle en a peur) et se passionne pour les pierres, elle se montre aussi fragile et vulnérable. Il y a surtout beaucoup d’amour dans cet album, et cela fait un bien fou !

Le Printemps suivant – 2. Après la pluie
Margaux MOTIN
Casterman, 2022

Rempli de sons dorés

Je ne sais pas trop pourquoi, je ne vais pas trop vers la poésie allemande, alors qu’elle regorge littéralement de merveilles. Hölderlin en particulier, qui est l’auteur de cette expression que j’ai reprise à mon compte et qui, je crois, me définit parfaitement : habiter poétiquement le monde — ce qui n’est d’ailleurs pas tous les jours facile. Bref, je ne lis que peu la poésie allemande (et la littérature allemande dans son ensemble). Or en ce moment, dans mes lectures actives du matin, je suis à nouveau plongée dans Jung, et plus précisément dans Métamorphoses de l’âme et ses symboles. Ce que j’aime chez Jung, c’est la diversité (et l’immensité) de ses références culturelles.

Et voilà qu’au détour d’une page, je tombe sur ces vers d’Hölderlin et sur cette image des « sons dorés » qui m’a, littéralement, émerveillée : il s’agit d’une synesthésie, et j’aime infiniment cette figure, et ici elle atteint une dimension incroyable : même si les étoiles sont perçues par leur lumière, on parle souvent de la musique des sphères et de leur harmonie et… quoi de plus poétique, avec la référence au soleil et à Apollon ?

Où es-tu ? Mon âme s’éveille ivre
De toute ta volupté ; cependant je viens
d’entendre, comme rempli de sons dorés,
Le ravissant éphèbe solaire
Jouer son chant du soir sur une lyre céleste ;
Et tout autour retentissent forêts et collines.

A propos de poésie : si le cœur vous en dit, un exemplaire de mon cahier de poésies et à gagner sur Instagram :

La beauté du geste, d’Yves Bichet : instants de grâce

La poésie pourrait ressembler à un geste, un premier mouvement du corps, une rencontre fortuite de la danse, de la musique et des mots qui célèbrent le quotidien, des mots capables de stopper notre fuite en avant, de rappeler le murmure du ruisselet derrière la maison, le lacis de ridules sur la joue tant aimée, l’avion qui s’arrache du sol, le nourrisson qui agrippe un index inconnu, la goutte de lymphe qui perle dans l’œil des coqs pendus sous les grands chênes, l’amandier en fleurs, l’aveugle qui caresse l’arcade sourcilière de son chien, et le peuple tout entier qui bataille.

Je n’ai pas pu résister à cette magnifique couverture qui représente des groseilles à l’aquarelle, et à ce titre ô combien prometteur.

Dans ce recueil de récits, Yves Bichet cherche les instants de grâce dans les gestes du quotidien, ceux auxquels on ne prête pas attention. Les gestes habiles ou tendre, les gestes techniques, les gestes cruels parfois. Le geste d’écrire. Le geste amoureux. Les gestes maladroits.

Et cela donne un ensemble assez hétéroclite. Certains textes sont des bouffées de poésie et de sensualité, lorsque la beauté d’un geste est nimbée de tout le reste, les odeurs, les textures, les sons. J’ai aimé ces réflexions sur le geste d’écrire, et les trop rares textes sur le geste amoureux. Malheureusement d’autres récits m’ont laissée à quai même s’ils restent touchants parce que dans la vie, mais ils ne m’ont pas parlé.

Néanmoins, l’ensemble reste une belle expérience de lecture, et je suis ravie d’avoir découvert un auteur que je ne connaissais pas.

La Beauté du geste
Yves BICHET
Le Pommier, 2023

Contes pour jeunes filles intrépides des quatre coins du monde, de Praline Gay-Para : filles sauvages

Dans les contes, les jeunes filles n’attendent pas le prince charmant, elles prennent leur destin en main. Elles transgressent les interdits, même quand elles semblent s’y plier. Elles savent séduire celui qu’elles ont choisi, se faire passer pour un homme, déjouer la roublardise des puissants, échapper aux monstres, imposer leur volonté, pour arriver à leurs fins.

Lorsque je suis tombée l’autre jour sur ce recueil de contes du monde entier (Arménie, Arabie Saoudite, Chili, Corée, Ecosse, Maroc, Mexique, Palestine, Portugal, Sibérie, Sicile, Soudan, Syrie, Turquie, Yemen… on peut dire qu’on voyage) rassemblés par Praline Gay-Para, dont j’avais déjà lu les Contes très merveilleux, j’ai immédiatement pensé à Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estes, même si, dans ce recueil, nous n’avons que les histoires, et non une analyse des archétypes du féminin.

Et quelles histoires : les contes rassemblés ici nous montrent des jeunes filles qui, loin de rester passives, prennent leur destin en main, se montrent rusées, sauvent souvent leur famille de la ruine et de la destruction, et choisissent ce qu’elles veulent pour leur vie.

Comme on ne se refait pas, j’ai bien sûr particulièrement apprécié les récits (contes, mais aussi mythes fondateurs) qui racontent l’amour : « La tisserande et le bouvier », « Anaït et le prince tisserand », « la fille du sultan qui voulait vivre seule », « le palais du chou ». J’ai également beaucoup aimé « la fille du soleil et comment la joie est venue au monde ». Et une histoire m’a beaucoup amusée : « l’échange de corvée », très moderne, qui nous raconte comment un jour un homme et une femme échangent leurs corvées, suite a une remarque du mari que sa femme ne faisait rien de ses journées et… on peut penser qu’il ne le redira plus jamais, vu ce qui lui arrive.

J’ai beaucoup aimé, également, découvrir d’autres types de contes, qui ne correspondent pas à ce dont on a l’habitude avec Perrault, Grimm ou Andersen, même si on reconnaîtra ici ou là des contes traditionnels que nous connaissons bien. Il n’empêche, cette variété est une belle bouffée d’air frais, et je ne saurais trop recommander ce recueil à tout le monde, et en particulier à ceux qui lisent des histoires du soir aux enfants !

Contes pour jeunes filles intrépides
Praline GAY-PARA
Actes Sud, Babel, 2020

Peines mineures, de Sonia Chiambretto : insoumises

Nous — filles bien nées filles bien nées filles mal nées filles de divorcées filles non désirées filles nées de la collaboration dans l’après-guerre filles intelligentes filles créatives filles précoces filles spirituelles filles débrouillardes filles curieuses  — nous ne sommes ni vulgaires ni versatiles ni vénéneuses ni vilaines ni violentes ni vengeuses ni véhémentes ni vicieuses ni mauvaises ni superficielles ni caractérielles ni asociales ni méchantes ni délurées ni des traînées ni des âmes perdues.

J’aime beaucoup cette collection « Des écrits pour la parole » des éditions de l’Arche, qui propose des textes forts et engagés, qui posent des questions essentielles pour la société.

Ici, le sujet, c’est la délinquance féminine : un récit choral, qui met en miroir des gamines d’aujourd’hui enfermées dans un centre éducatif fermé suite à des délits de trafic de drogue ou faits de violence, et des adolescentes enfermées à l’internat du Bon Pasteur à la fin des années 1950, coupables d’avoir tout simplement voulu exister.

Malgré les différences, la même accusation : celle d’être des insoumises, de dépasser des cadres qu’on leur a fixés.

Un texte coup de poing, plein de désespoir, de violence, et animé par une soif de liberté qui déborde de partout. Car c’est bien de cela dont il s’agit : elles veulent être libres, et si la manière dont les premières assouvissent ce besoin est discutable, la pulsion, elle, ne l’est pas. Elles refusent de se soumettre, crient leur rage et leur révolte d’une manière parfois poétique dans sa brutalité, restent des gamines qui ont soif d’amour, et l’ensemble donne un texte très troublant, qui mérite vraiment d’être découvert !

Peines mineures
Sonia CHIAMBRETTO
L’Arche, 2023

Notes de chevet, de Sei Shônagon illustrées par Hokusai : voyage poétique

Le premier jour de l’année, surtout, me plaît. Le ciel pur se voile d’une merveilleuse brume. Tous les hommes soignent particulièrement leur figure et leur tenue, ils présentent leurs souhaits au Prince et aussi à eux-mêmes. C’est vraiment ravissant.

Il n’y a pas si longtemps que je vous avais parlé des Notes de chevet de Sei Shônagon, regrettant d’avoir dû me rabattre sur une sélection d’entrées et non l’œuvre intégrale. Je l’avais dit : ce que je voulais, c’était cette édition, complète et illustrée par Hokusai, qui était dans ma liste d’envies depuis une éternité, mais coûtait très cher.

Or, il s’est produit deux choses : d’abord, les éditions Mazenod ont fait une éditions plus petite que la première, donc plus maniable et un peu moins chère. Surtout, cet ouvrage va sortir du catalogue très bientôt, et c’était donc l’occasion ou jamais de l’avoir. Et je voulais, vraiment, l’avoir tant cette œuvre m’inspire d’émerveillement. Donc, je me suis, avec un ravissement certain, et sans trop résister non plus, laissé tenter.

Et je peux vous assurer que je ne regrette pas de m’être offert ce beau cadeau : entre les textes émerveillants et inspirants de Sei Shônagon, qui me servent d’ailleurs pour un projet dont je vous parlerai très bientôt, et les magnifiques estampes d’Hokusai, je ne cesse d’y plonger mon âme pour la nourrir, et elle en est ravie. C’est un très très bel objet, que j’ai mis sur mon bureau pour qu’il m’accompagne au quotidien !

Notes de chevet
Sei SHÔNAGON
Illustrées par HOKUSAI
Traduction par André Beaujard
Citadelles/Mazenod, 2020

Un corps à soi, de Camille Froidevaux-Metterie : pour un féminisme phénoménologique

Si l’on devait condenser d’une formule l’objectif des luttes féministes depuis qu’elles existent, ce pourrait être : faire advenir un monde où les femmes ne soient plus définies par leur corps.

J’avais beaucoup entendu parler de cet essai, notamment à l’occasion du colloque de ces deux dernières années Les femmes et leur corps, mais je n’avais pas pris le temps de le lire. L’autre jour, en retombant dessus au FRAC, je me suis dit qu’il était temps, d’autant que la question du féminisme et de la réappropriation du corps est importante dans l’histoire d’Adèle.

Dans cet essai, Camille Froidevaux-Metterie part du postulat que de tout temps, les femmes ont été définies par leur corps, par leur nature charnelle, sexuelle et procréatrice, et que toute l’histoire du féminisme a visé à mettre fin à cette définition. Quitte finalement a ne plus du tout penser ce corps : or, comme le fait remarquer l’autrice, les femmes, au quotidien, ne peuvent pas oublier qu’elles ont (qu’elles sont ?) un corps, et il s’agit donc pour elle, après une première partie où elle définit ce féminisme phénoménologique qui ne réduit pas la femme à sa nature corporelle et ne l’y enferme pas mais la prend en considération, à partir de Simone de Beauvoir et d’Iris Marion Young, elle étudie dans la seconde partie la manière dont les femmes peuvent se réapproprier ce corps.

Un essai passionnant et instructif, et d’une intelligence rare, qui m’a permis de mettre des mots sur ce que je n’arrivais pas à clairement formuler dans mon propre positionnement : de fait, j’ai pas mal travaillé sur Beauvoir et Le Deuxième sexe, ce qui a très certainement nourri ma pensée, mais étant écrivain et non philosophe (même si c’est une discipline qui m’intéresse, évidemment) il me manquait l’ancrage théorique. J’ai aussi découvert avec beaucoup de bonheur Iris Marion Young, qui semble dire bien des choses intelligentes, et dont j’ai envie de lire les textes, malheureusement non traduits en français pour le moment, mais comme de plus en plus de livres essentiels commencent à l’être (je pense à bell hooks) j’ai bon espoir.

Bref : sur un sujet souvent polémique, Camille Froidevaux-Metterie pose un regard que j’ai envie de qualifier d’équilibré. J’ai particulièrement apprécié ses réflexions sur le couple et l’amour, ainsi que sur la parure et le soin de soi, dont elle montre combien s’ils ont été longtemps l’instrument de l’asservissement des femmes, ils peuvent aussi, en se les réappropriant en tant que sujet, devenir des lieux d’expression authentique de soi.

Je ne saurais trop conseiller cet essai à tout le monde, tant il permet de mettre de l’ordre dans ses idées ! Quant à moi, je pense que je vais poursuivre avec d’autres titres, car nul doute que cette autrice a beaucoup à m’apporter pour aiguiser ma réflexion !

Un Corps à soi
Camille FROIDEVAUX-METTERIE
Seuil, 2021