Etre un adulte surdoué, de Cécile Bost : le syndrome du vilain petit canard

D’abord, quand on « ose » s’envisager surdoué, émerge toujours ce soupçon sous-jacent qu’on se pense plus intelligent que les autres. Au regard de tout ce qui est fantasmé sur les surdoués, ça veut dire qu’on « ose » penser qu’on est supérieur aux autres. Or, dans la grande majorité des cas, c’est justement tout le contraire qu’un surdoué ignorant de sa spécificité pense de lui-même, tant le décalage peut être grand par rapport aux « autres », tant il peut parfois se demander pourquoi il ne comprend rien aux règles de la société qui l’entoure. 

Encore un essai, mais dans un domaine totalement différent de ce dont je vous parle d’habitude (encore qu’à mon avis il y a un lien, que je n’expliciterai pas aujourd’hui parce que sinon cet article déjà très long sera indigeste). Il se trouve que l’autre jour, l’un d’entre vous (qu’il en soit remercié ainsi que l’Univers qui l’a mis sur mon chemin), en commentaire sur je-ne-sais-plus quel article, écrivait que selon lui et ce qu’il lisait de moi, je n’étais pas seulement hypersensible, mais qu’il décelait des signes de haut potentiel. Convaincue que non à cause des idées reçues sur le sujet (comme beaucoup, j’étais persuadée que les HPI étaient caractérisés par une exceptionnelle intelligence logico-mathématico-rationnelle, ce qui est, on en conviendra, loin d’être mon cas), j’ai nié, mais il a insisté, et l’idée a peu à peu fait sa route. Il faut dire que c’était tentant, de trouver enfin une clé : pourquoi j’ai cette impression constante de venir d’une autre planète, pourquoi je suis aussi émotive, comment je fais pour être aussi intuitive, pourquoi je ne suis jamais dans le même tempo que les autres et que je n’arrive pas à m’adapter au monde tel qu’il est (qui ne fait pas beaucoup d’efforts non plus, il faut bien dire), et ce, depuis toujours : à l’école, j’étais très souvent seule, les autres ne voulaient pas de moi, et quand bien même je suis d’une nature solitaire et contemplative, j’en souffrais beaucoup ; inutile de vous dire que mes bizarreries ne se sont pas améliorées en vieillissant, et mes rapports avec le reste de l’humanité non plus.

Bref, je me suis dit : après tout, pourquoi ne pas aller explorer cette piste que l’on me sert aimablement sur un plateau, et je me suis mise en quête d’un ouvrage sur le sujet, et c’est tombé sur celui-ci, qui a l’avantage de s’appuyer sur de nombreux témoignages, notamment ceux de l’auteure.

Avec beaucoup de clarté et de pédagogie, l’auteure aborde les malentendus et idées reçues (et notamment la tyrannie des tests de QI et l’idée fausse que tous les Hauts Potentiels sont des gens qui réussissent brillamment : non, en fait ils ont tendance à s’auto-censurer pour ne pas être rejetés par le groupe), les souffrances, la tyrannie de la sensibilité, les réalités neuropsychologiques qui engendrent des fragilités et conduire à des dépressions d’un type particulier, et enfin comment, malgré tout, vivre et s’en sortir.

Deux livres auront changé ma vie ces derniers temps : Femmes qui courent avec les loups (et il y a un lien, j’y reviendrai plus bas) et celui-ci. Vous vous souvenez peut-être du rêve que j’avais fait lorsque j’étais très jeune, dans lequel j’apprenais que j’étais une extra-terrestre et que j’entreprenais un long voyage pour rejoindre ma planète et mes congénères ? Et bien j’ai l’impression, là tout de suite, d’être arrivée peut-être pas de l’autre côté de la forêt ni au bout du chemin, mais dans une clairière où s’ébattent joyeusement d’autres gentils extra-terrestres : ce sont surtout les témoignages qui m’ont parlé, et c’est impossible d’expliquer la joie que c’est de voir des gens qui fonctionnent (plus ou moins, il n’y a pas d’uniformité) de la même manière que nous, à-rebours de la « norme ». Des gens qui ont tendance souvent à s’auto-censurer (à l’école, une fois que j’avais terminé mes contrôles, je relisais en ajoutant des fautes), qui ont un besoin vital de créer et de challenges intellectuels, qui ont constamment l’impression d’être en sous-régime dans leur travail « normal », qui sont maladivement curieux de tout un tas de sujets sans liens les uns avec les autres et parfois bizarres et qui dès qu’ils ont un centre d’intérêt se mettent à tout lire et tendent à devenir spécialistes avant de changer parce qu’ils s’ennuient rapidement (ça a un nom : ça s’appelle l’épistémophilie), qui cherchent toujours à plaire parce qu’ils manquent de confiance en eux, qui procrastinent (et oui), qui sont hypersensibles et ont mille idées qui surgissent à chaque seconde dans leur cerveau qui finit par faire des nœuds, qui passent la moitié de leur vie plongés dans des questionnements (et angoisses) existentielles.

Lorsque j’ai parlé de ce livre et de l’effet qu’il avait sur moi sur les réseaux sociaux, j’ai reçu beaucoup de messages et notamment en privé, la plupart venant de Hauts Potentiels avérés (et là, je me dis que soit les statistiques sont fausses et qu’il y en a bien plus de 2%, soit que l’Univers avaient déjà mis sur ma route les gens dont j’avais besoin sans m’en rendre compte) mais que je n’avais jamais identifiés comme tels. Pour me dire que oui, c’était bien ce qu’ils pensaient, voire qu’ils croyaient que je le savais déjà (en tout cas, personne ne m’a dit que c’était peu probable, c’est déjà ça car il paraît que les HPI ont tendance à se reconnaître entre eux, ce qui expliquerait que lorsque j’ai eu de tels élèves, là où mes collègues perdaient leur latin face à des raisonnements obscurs, j’arrivais assez facilement à remonter avec eux le fil de leur pensée).

Mais comment on les (nous ?) appelle ? Depuis le début de l’article, j’écris Haut Potentiel, mais je n’aime pas trop : en fait, j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas d’une intelligence supérieure, mais d’une intelligence différente, et que du coup, s’adapter à la norme, c’est comme vouloir faire entrer une boule dans un trou en forme de carré. J’aime bien « zèbre ». J’aime surtout « cygne » : parce qu’il se trouve que lorsque j’avais lu Femmes qui courent avec les loups, l’interprétation du conte du vilain petit canard avait fortement résonné en moi. Alors, va pour « cygne ». Le cygne est rejeté par les canards parce qu’il n’est pas un canard, qu’il est différent, pas supérieur mais autre.

Alors maintenant, qu’est-ce que je fais de tout ça ? Evidemment, vous allez me répondre, de manière somme toute logique (ce que, n’oubliez-pas, je ne suis pas) « bah il faut aller te faire tester, espèce de cloche ». Sauf que ce n’est pas si simple : outre le coût absolument hallucinant du bidule et la difficulté de trouver à Orléans quelqu’un qui ne s’occupe pas exclusivement des enfants, est-ce vraiment utile d’officialiser ? Et surtout, soyons honnête : l’idée de passer ces tests (et de les louper) me met dans un état d’angoisse indescriptible ; là, j’ai déjà l’impression d’avoir fait un grand pas vers la compréhension de moi-même, et d’avoir trouvé une grille cohérente de lecture de ma vie, de mes ressentis, de mes fonctionnements, de mes émotions, et surtout de mes échecs (amoureux, mais aussi professionnels), bref, d’avoir ouvert une porte que j’ai une trouille bleue qu’on me referme sur le nez. Et si ce n’était pas ça (alors il paraît que cette peur est normale, mais quand même) ?

En tout cas, présentement, je me sens en quelque sorte libérée, délivrée, et c’est un grand pas !

Etre un adulte surdoué. Bien vivre avec soi-même et avec les autres
Cécile BOST
Vuibert, 3e édition, 2019

Gardiennes de la Lune de Stéphanie Lafranque et Vic Oh : vers la voie du féminin sauvage

Au milieu de ce monde chaotique, quelque chose de puissant nous appelle. En tant que femmes, notre place est en train de se redéfinir, un équilibre cherche à se mettre en place dans le lien aux hommes et à la nature. Respecter notre essence, c’est respecter notre Terre, c’est se sentir à sa place au cœur de l’univers. Devenons à notre tour, comme les prêtresses des temples antiques, des gardiennes de la Lune. Apprenons à déchiffrer ses énergies, à lire ses phases, à ressentir son passage dans les constellations, à utiliser les archétypes lunaires, à redécouvrir la sagesse ancestrale des plantes magiques et à faire entrer le rite dans nos vies. Lors des deux grands portails énergétiques du mois, à la Nouvelle Lune et à la Pleine Lune, appuyons-nous sur les forces naturelles qui sont à l’oeuvre pour vivre notre cyclicité. Comme les marées océaniques, nous avons nos propres mouvements intérieurs. Les révéler nous fait prendre conscience de l’impermanence de toute chose et nous permet de sentir notre appartenance à un système plus grand que nous-mêmes. 

Comme vous pouvez le constater, je poursuis mes investigations sur la Lune, la magie, les rituels, le féminin sauvage et sacré. En fait, je crois qu’un livre est en train de bouillonner quelque part en moi, même si ce n’est pas encore d’actualité. Et à force de le voir passer sur mon feed Instagram, j’ai craqué sur ce très beau livre de Stéphanie Lafranque (qui contribue aussi à Druidéesse), illustré par Vic Oh.

Le propos de cet essai/guide est de renouer avec son féminin sacré et sauvage, son intuition, sa puissance, en se reliant à la Lune. La première partie de l’ouvrage est constituée de courts chapitres sur l’histoire de la Lune et ses différents cultes, la connexion entre les femmes et la Lune (et bien sûr les cycles) et la nature, tout ce qu’il y a à savoir sur la Lune, ses phases et sa terminologie, la manière de se relier à elle (le cadran vu chez Miranda Gray, mais aussi les rêves), la Lune et le zodiaque (le rôle de la Lune dans notre thème astral mais aussi la Lune dans les différents signes et comment cela influence les rêves), la Lune Noire et les mémoires karmiques, et la Lune au cours de l’année. La deuxième partie est constituée d’un éphéméride, débutant comme il se doit au mois de mars qui est le début de l’année énergétique et zodiacale, avec les énergies, les plantes, les archétypes féminins associés, et les rituels…

C’est d’abord, comme vous pourrez le constater si vous allez jeter un œil aux comptes Instagram de l’auteure et de l’illustratrice, un magnifique objet, que l’on prend plaisir à feuilleter. Mais c’est surtout un ouvrage simple, très clair, très inspirant, un guide à avoir toujours sous la main. Très instructif : moi qui commençait à avoir un peu l’impression d’avoir fait le tour du sujet, j’ai appris énormément de choses : il aborde beaucoup la question des rêves, que je n’avais pas encore croisée tant que ça dans ce type d’ouvrages, à ma grande déception d’ailleurs (mais c’est un sujet que j’ai vraiment envie de creuser) et donne des pistes pour mieux se connecter aux siens ; il aborde également de manière assez intéressante (et compréhensible !) l’astrologie, domaine que je n’ai pas trop exploré jusqu’à présent et certaines choses m’ont un peu déstabilisée : je suis allée voir ma Lune Noire/Lilith, et je suis un peu tombée de ma chaise (enfin du canapé) tellement c’était d’une justesse impressionnante, notamment en lien sur ce que je savais déjà sur la question.

Bref, un ouvrage que je recommande, que vous vous y connaissiez ou non dans les domaines un peu « ésotériques » : c’est à la fois une très bonne introduction, mais aussi un très bon complément à ce qu’on peut lire par ailleurs. Et, encore une fois : c’est beau !!!!!

Gardiennes de la Lune. Vers la voie du féminin sauvage
Stéphanie LAFRANQUE et Vic OH
Solar, 2019

Les Gratitudes, de Delphine de Vigan : à qui dire merci ?

Vous êtes-vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci ? Un vrai merci. L’expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette.
A qui ?
Au professeur qui vous a guidé vers les livres ? Au jeune homme qui est intervenu le jour où vous avez été agressé dans la rue ? Au médecin qui vous a sauvé la vie ? 
A la vie elle-même ?

Cela peut sembler un peu paradoxal de parler de gratitude après le petit livre que je vous ai présenté hier, mais ce n’est qu’un hasard (enfin, je crois). De fait, je n’avais pas été plus convaincue que ça par le dernier roman de Delphine de Vigan, Les Loyautés, et si j’avais été logique (mais agir logiquement, ce n’est pas moi), attendu que celui-ci poursuit la réflexion sur les lois intimes qui nous gouvernent et la veine du « roman social » qui n’est pas mon truc, j’aurais passé mon tour. Mais voilà, encore une fois mon intuition a dit « sisi » et j’ai bien fait de l’écouter…

Quand et à qui disons-nous réellement merci, un merci non pas de politesse quand on nous tient la porte mais un merci de réelle gratitude ? Pourquoi Marie éprouve-t-elle une telle gratitude envers Michka, qui vient de mourir ? Et Michka, à qui voulait-elle dire merci ? Et Jérôme ?

Un roman plein de délicatesse et de grâce, qui parvient à lier de manière harmonieuse plusieurs thèmes : la vieillesse et la dépendance des personnes âgées, la question du langage et de la perte, et bien sûr la gratitude, traitée avec beaucoup de subtilité et de tendresse. Le personnage de Michka, en particulier, est extrêmement attachant et plein de générosité.

Un très beau roman, plein d’humanité !

Les gratitudes
Delphine de VIGAN
Lattès, 2019

 

Défoule-toi ! ça va mieux en le disant, de Lotta Sonninen : le livre des mauvaises pensées

C’est la faute des autres !

Récemment, j’ai commencé à écouter un podcast de développement personnel qui me laisse quelque peu perplexe : l’idée de base, pour la faire courte, est que ce sont nos pensées qui génèrent nos émotions négatives alors que les événements factuels, eux, sont neutres. Et que, donc, il suffirait de changer sa pensée sur un événement ou une situation pour changer l’émotion qui y est attachée. Alors sur certains faits, je veux bien, mais enfin sur d’autres, j’ai beau retourner les choses dans tous les sens, je ne vois pas bien comment en penser quelque chose de positif. Ouais, en somme, je ne suis pas Bouddha, et je n’ai aucune intention de le devenir d’ailleurs. Et je suis souvent assaillie par la colère, après des gens et après des situations. Ce qui ne sert à rien, mais enfin, bon.

Du coup, ce petit livre est tombé à pic : prenant le contre-pied des manuels de développement personnel qui nous invitent à la gratitude et au pardon, celui-ci nous engage à nous laisser-aller à nos mauvaises pensées et à les coucher sur le papier pour nous défouler : tout ce qu’on reproche aux gens de notre entourage, ceux qu’on ne supporte pas, ceux dont on considère que c’est leur faute si ça cloche dans notre vie, ceux dont on est jaloux, ceux à qui on voudrait passer un savon, ceux à qui on en veut encore des années après, tout ce qui nous a agacé dans la journée, nos plus grands regrets…

Un petit livre à ne pas trop laisser traîner si vous l’utilisez afin de ne pas envenimer certaines situations, mais le fait est : ça va mieux en le disant, et ce petit livre permet de se défouler de manière salutaire sans culpabiliser : écrire à trucmuchette ce qu’on a envie de lui dire mais qu’on ne peut évidemment pas lui dire en face, à savoir qu’elle est une grosse c*** aigrie et hystérique et que ce n’est pas parce qu’elle se sent mal dans sa vie qu’elle est obligée de pourrir celle des autres, bah oui, ça fait du bien ! Bon après, ça reste avant tout drôle, décalé et ironique, tant au niveau des textes que des illustrations !

Un petit livre ludique, à mettre dans toutes les mains !

Défoule-toi ! Ça va mieux en le disant
Lotta SONNINEN
Le Livre de Poche, 2019

Zadig : toutes les France qui racontent la France

Rendre la France lisible. C’est la première ambition de Zadig. Parce que nous croyons à l’écrit, nous rêvions depuis longtemps d’une aventure éditoriale qui raconterait notre pays. Chaque trimestre, Zadig le fera à sa manière. Avec des mots porteurs comme il est des murs porteurs. Au moment où notre société se fracture, nous avons la conviction qu’elle manque d’un récit à partager. C’est ce récit, tissé de tous les récits qui racontent la France d’aujourd’hui, que nous vous proposons. 

Raconter la France comme America raconte l’Amérique : tel est le dernier défi que s’est lancé Eric Fottorino. Baptisé du nom du célèbre personnage de Voltaire, ce mook nous propose un voyage à travers la France, celle que l’on oublie souvent : Le Guilvinec, le Havre, Vierzon, Le Creusot, Vesoul… Autant d’endroits qui ne font pas forcément rêver a priori, mais qui ont pourtant bien des histoires à nous raconter.

Construit autour d’un dossier, « Réparer la France », le trimestriel est d’une grande variété : des reportages, des enquêtes, des entretiens, des chroniques, des récits, un porte-folio, qui donnent la parole à nombre d’écrivains (Marie Darrieussecq, Christian Bobin, Maylis de Kerangal, Leïla Slimani, Régis Jauffret, Marie Desplechin, Leonor de Recondo) mais proposent aussi des textes plus journalistiques. A noter, entre autres, un fantastique entretien avec Mona Ozouf, un long (et passionnant) reportage en immersion avec les marins-pêcheurs, une magnifique histoire de coparentalité par Leonor de Recondo, un très beau texte de William Boyd qui explique pourquoi il a choisi la France. Et le très beau dossier, qui propose des solutions concrètes.

Zadig, c’est vraiment la presse comme on l’aime et telle qu’elle devrait toujours être : le choix de la lenteur éditoriale et des formats longs permet non seulement d’avoir vraiment de quoi lire (il vaut son prix, car outre la qualité des articles, le lire de la première à la dernière page prend plusieurs heures) mais surtout de se poser, de creuser les sujets au lieu de les effleurer, d’aborder des thèmes variés sans la contrainte de l’actualité, ce qui permet aussi un salutaire pas de côté : un autre point de vue sur les choses (l’article sur la fermeture des services publics est à cet égard extrêmement instructif), une autre manière de voir, des sujets que l’on ne voit pas partout et qui sont résolument enrichissant. Et la recherche de gens inspirants, qui font vraiment avancer le monde à leur niveau !

Bref, un magnifique réjouissant, comme une bouffée d’air frais, qui évite le manichéisme mais fait vraiment réfléchir sur notre société ! Bravo !

Zadig. Toutes les France qui racontent la France
n°1 – Réparer la France
Trimestriel. Le 1. 19€

L’appartement du dessous, de Florence Herrlemann : correspondances

Vous avez probablement cru avoir affaire à une vieille folle. C’est certainement la raison pour laquelle je n’ai encore rien reçu de vous. Je vous sais occupée à mettre de l’ordre dans votre nouvelle vie, mais quelques lignes pour vous présenter à votre tour auraient été lues avec attention et intérêt. J’aurais été moins impatiente s’il avait fallu compter le temps d’acheminement du courrier, si long parfois. Mais pour ce qui nous concerne, une volée de marches nous sépare. Un étage. J’ai regardé à deux reprises sur et sous mon paillasson, rien. Rien non plus dans la boîte aux lettres. Vous seriez-vous trompée d’étage ?

Le premier roman de Florence Herrlemann, Le festin du lézard, m’avait laissé quelque peu perplexe : j’en avais aimé la poésie et l’écriture, mais l’ensemble m’avait perdue.  Ce coup-ci, mon intuition m’a dit que je pouvais y aller sans crainte…

A peine installée dans son nouvel appartement, Sarah, une trentenaire, reçoit une, puis toute une série de lettres de sa voisine du dessous, Hectorine qui, si elle ne souhaite pas tout de suite s’expliquer sur les raisons de cette correspondance, raconte beaucoup de choses, et entreprend le récit de sa vie. D’abord agacée (la vieille dame est assez maladroite en plus d’être très intrusive), Sarah répond sèchement. Mais Hectorine est insistante, semble avoir un secret à révéler, et Sarah finit par se prendre au jeu…

Voilà un roman d’une grande originalité et qui renouvelle de manière efficace le genre épistolaire. Le processus est malin : comme Sarah, Hectorine m’a au départ excédée : je suis un peu sauvage, et j’avoue qu’une telle intrusion dans ma vie, assortie de questions indiscrètes, venant de quelqu’un qui ne veut pas qu’on fasse connaissance en face à face, m’aurait fait sortir de mes gonds. Oui mais voilà, Hectorine sait y faire niveau captatio benevolentiae, et très vite tout comme Sarah j’ai été harponnée par son récit, qui nous conduit par la main à travers tout un pan de l’histoire européenne du XXe siècle, ses beautés mais surtout ses horreurs. Quel destin, et quelle femme aussi : femme libre et indépendante, Hectorine a tout d’une héroïne. Dès le départ on sent qu’elle cache un secret, et tout le roman est tendu vers cette révélation…

Un roman très beau, très délicat et parfaitement mené !

L’appartement du dessous
Florence HERRLEMANN
Albin Michel, 2019

Les petites voix, quand l’intuition toque à la porte d’un cerveau rationnel de Christelle Lauret : laisser faire la prod’

Mon intuition, cette « forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement », nous dit le Petit Robert, m’a littéralement changé la vie depuis cette première et étrange expérience d’il y a huit ans. C’est elle qui m’a amenée à quitter mon job de chercheur dans l’industrie pharmaceutique pour en trouver un autre encore plus aligné avec mes passions, mes talents et mes valeurs. C’est elle qui m’a permis de rencontrer les bonnes personnes et de saisir les bonnes opportunités au bon moment. En fait, c’est elle qui m’a permis de commencer à vraiment m’écouter, à être beaucoup plus alignée avec qui je suis vraiment et du coup à être bien plus vivante, sereine et épanouie dans ma vie… Car le type d’intuition dont je parle ici, c’est la petite voix intérieure qui sait ce qui est juste pour nous. Celle que j’ai personnellement nommée la voix du Coeur avec un grand C (pas le coeur émotif, mais le coeur empreint de sagesse). Celle qui est au-dessus de toutes les autres petites voix — conditionnées — d’un mental agité. 

Certaines personnes de mon entourage diront que je n’écoute que rarement « la voix de la raison », voire que la mienne est frappée d’aphasie : mais si j’agit parfois de manière somme toute bizarre et illogique, ou que je dis des trucs sortis de nulle part et dépassant l’entendement, c’est que j’ai plutôt tendance à écouter mon intuition (je suis Poissons) et à l’assumer parfaitement. Et le fait est que j’ai souvent raison, et les gens en sont souvent assez surpris. « Mais comment tu savais ça ? ». Alors inutile de vous dire que ça ne marche pas à tous les coups, malheureusement, sinon ma vie serait plus alignée qu’elle ne l’est actuellement, sur tous les plans (même si je sais que ça va venir, mon mental reprend encore parfois le contrôle en me disant oui mais enfin tu vois bien que ça ne vient pas, espèce de cruche). Notamment, j’aurais trouvé l’éditeur à qui envoyer mon manuscrit et avec qui ça matcherait : en juin dernier, j’avais reçu un coup de téléphone pour Salomé, et malgré une conversation très agréable, je sentais que ça ne se ferait pas, finalement, j’ai filé un coup de pelle sur la petite voix mais le fait est que ça ne s’est pas fait. C’est comme ça aussi qu’il y a des personnes que, malgré leurs efforts, je n’ai jamais laissées entrer dans ma vie tout simplement parce que même si elles étaient de prime abord sympathiques, je ne les sentais pas, et plus d’une fois j’ai eu raison (alors je parle des relations amicales : sur le plan amoureux j’aurais plutôt tendance à foncer même si je ne le sens pas — ou des fois je le sens mais les événements, sur le court terme en tout cas, me donnent tort). Et je ne raconte là que le plus racontable. Bref, tout ça pour dire que l’intuition et moi, c’est une très longue histoire, mais contrairement à Christelle Lauret, qui elle a un cerveau scientifique, j’ai toujours tenu ça pour naturel, sans me poser de questions : c’est mon mode normal de fonctionnement.

Christelle Lauret, elle, se réveille un matin avec l’idée qu’elle doit écrire un livre. Une drôle d’idée, vu qu’elle n’en éprouve pas du tout le désir. Et pourtant, même si cela met des années à se mettre en place, elle finit par le faire, et qui plus est, malgré ses réticences, un ouvrage sur l’intuition, alors qu’elle était partie pour écrire quelque chose sur le cerveau : un sujet totalement irrationnel alors qu’elle est à la base une scientifique sérieuse, qui ne croit pas à ces choses là.

Evidemment, le grand intérêt de cet ouvrage à la base, c’est qu’il soit écrit par une scientifique cartésienne : cela a beaucoup plus d’impact. Il s’agit donc, au premier chef, du récit personnel d’une expérience intime, qui a beaucoup résonné en moi : avec beaucoup de sincérité, l’auteure montre toutes ses résistances face à ce changement de paradigme et de prisme de perception, celui du matérialisme et du rationalisme, car cela reviendrait à tout remettre en cause, ce qu’elle est bien obligée de faire au fur et à mesure qu’elle vit des choses qu’elle ne peut pas expliquer.

Mais c’est aussi un essai absolument passionnant sur le fonctionnement du cerveau, extrêmement instructif et clair : les différents niveaux de fonctionnement du cerveau, les comportements conditionnés de protection, comment la pensée modifie la structure du cerveau… Cela n’explique pas tout, très loin de là, et j’ai envie de dire que c’est même ce que je trouve intéressant, que la science ne puisse pas tout expliquer : ça rend le monde plus poétique, mais cela est passionnant !

Enfin, c’est un manuel de développement personnel, avec des « trucs et astuces » pour apprendre à se servir de son intuition. Grâce à Christelle Lauret, je crois que j’ai enfin, à peu près, compris ce que c’était que la pleine conscience, et d’autres choses aussi, qui rejoignent parfaitement mes questionnements actuels.

Un essai que je conseille vraiment à tout le monde : ceux qui, comme moi, croient à l’intuition et aux choses pas très rationnelles  parce que c’est leur côté poétique mais ne se sont jamais posé de questions sur le sujet y trouveront de quoi nourrir leur réflexions ; ceux qui n’y croient pas, comme Christelle Lauret au départ, y trouveront de quoi se poser des questions et apprécieront les passages très scientifiques quoiqu’accessibles même aux sous-doués en sciences comme moi.

Les petites voix, quand l’intuition toque à la porte d’un cerveau rationnel
Christelle LAURET
Carnets Nord, 2019