Contes pour jeunes filles intrépides des quatre coins du monde, de Praline Gay-Para : filles sauvages

Dans les contes, les jeunes filles n’attendent pas le prince charmant, elles prennent leur destin en main. Elles transgressent les interdits, même quand elles semblent s’y plier. Elles savent séduire celui qu’elles ont choisi, se faire passer pour un homme, déjouer la roublardise des puissants, échapper aux monstres, imposer leur volonté, pour arriver à leurs fins.

Lorsque je suis tombée l’autre jour sur ce recueil de contes du monde entier (Arménie, Arabie Saoudite, Chili, Corée, Ecosse, Maroc, Mexique, Palestine, Portugal, Sibérie, Sicile, Soudan, Syrie, Turquie, Yemen… on peut dire qu’on voyage) rassemblés par Praline Gay-Para, dont j’avais déjà lu les Contes très merveilleux, j’ai immédiatement pensé à Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estes, même si, dans ce recueil, nous n’avons que les histoires, et non une analyse des archétypes du féminin.

Et quelles histoires : les contes rassemblés ici nous montrent des jeunes filles qui, loin de rester passives, prennent leur destin en main, se montrent rusées, sauvent souvent leur famille de la ruine et de la destruction, et choisissent ce qu’elles veulent pour leur vie.

Comme on ne se refait pas, j’ai bien sûr particulièrement apprécié les récits (contes, mais aussi mythes fondateurs) qui racontent l’amour : « La tisserande et le bouvier », « Anaït et le prince tisserand », « la fille du sultan qui voulait vivre seule », « le palais du chou ». J’ai également beaucoup aimé « la fille du soleil et comment la joie est venue au monde ». Et une histoire m’a beaucoup amusée : « l’échange de corvée », très moderne, qui nous raconte comment un jour un homme et une femme échangent leurs corvées, suite a une remarque du mari que sa femme ne faisait rien de ses journées et… on peut penser qu’il ne le redira plus jamais, vu ce qui lui arrive.

J’ai beaucoup aimé, également, découvrir d’autres types de contes, qui ne correspondent pas à ce dont on a l’habitude avec Perrault, Grimm ou Andersen, même si on reconnaîtra ici ou là des contes traditionnels que nous connaissons bien. Il n’empêche, cette variété est une belle bouffée d’air frais, et je ne saurais trop recommander ce recueil à tout le monde, et en particulier à ceux qui lisent des histoires du soir aux enfants !

Contes pour jeunes filles intrépides
Praline GAY-PARA
Actes Sud, Babel, 2020

En attendant Noël : une seconde avant Noël, de Romain Sardou

Tu ne dois pas seulement inventer un personnage, tu dois créer un esprit de Noël, un esprit de fête et de communion entre les grands et les petits, entre les riches et les pauvres, c’est ce qui fait cruellement défaut au monde aujourd’hui. Noël ne signifie plus rien. Tu dois redonner du sens à cette date. Pour cela, il faut partir des enfants. C’est eux, la clé de tout. Ne te méprends pas, tu vas accomplir la première intervention des anges sur la Terre depuis très longtemps : eh bien, que cela par et pour les enfants.

L’autre jour, après avoir fait mes sablés, j’avais envie de lire une histoire de Noël installée devant mon sapin. Mais je voulais vraiment un conte, pas une comédie romantique. Et puis je me suis souvenue que depuis 10 ans, je n’avais toujours pas lu la dernière des trois histoires de Noël de Romain Sardou, faute d’y avoir pensé, et c’était exactement ce que je cherchais. Heureux hasard (!!!) elle vient juste d’être éditée en édition collector !

Il y a bien longtemps, tous les êtres magiques ont déserté la terre, ne laissant aux humains que les contes et légendes et Noël pour se souvenir de la magie. Tous ? Nous verrons que non, mais pour l’heure, réfugiés dans la constellation du Petit Cheval, ils surveillent la Terre, attendant que les humains grandissent et soient à nouveau prêts à les accueillir. Et ils sont inquiets : Noël est en perte de vitesse et les enfants ne croient plus en la magie. Il faut donc créer un esprit de Noël, redonner du sens à cette fête, grâce aux enfants. Et qui mieux qu’un enfant peut faire ce travail ? Cet enfant, ce sera Harold Gui, un petit orphelin anglais…

Une très jolie histoire. Le début néanmoins est abominablement triste : on est chez Dickens, avec un petit orphelin anglais au milieu du XIXe siècle, dans une petite ville minière sombre et sale, les enfants sont obligés de travailler et meurent de fin. Et c’est bien là que la magie de Noël opère. Le conte, par le biais d’un narrateur joyeux qui ne cesse de s’adresser au lecteur, nous transporte à l’origine du Noël que nous connaissons aujourd’hui : un gros bonhomme rouge qui vit au Pôle Nord et qui, la nuit de Noël, s’installe sur un traîneau volant tiré par des rennes magiques et distribue des jouets à tous les enfants, jouets fabriqués par des lutins. Et ça, c’est la plus belle magie, celle qui permet aux enfants de s’émerveiller et aux adultes de garder le cœur ouvert !

A lire absolument en cette période (ainsi que les autres, ils sont indépendants mais sont tout de même liés).

Une seconde avant Noël
romain SARDOU
XO, 2020

Contes et mystères du pays amoureux, d’Henri Gougaud : histoires d’aimer

L’amour. Est-il un rêve, un souci, un désir, un compagnon plus constant sur le chemin de nos vies ? Nous ne pouvons nous empêcher de l’interroger, de le bénir, de la maudire. Paradoxalement, même quand nous le fuyons, nous ne cessons de l’espérer. Pourrions-nous vivre sans lui, sans ses tempêtes, ses refuges, ses cavalcades ? « Tout l’univers, dit La Fontaine, obéit à l’amour. » Et pourtant, est-il un jour où nous n’avons pas douté de sa présence ? 

L’autre jour, une de mes connaissances sur Facebook a mis en photo ce petit livre qui venait de sortir : elle ne parlait pas du livre en lui-même, mais je ne sais plus de quoi qui avait un rapport avec le monde de l’édition en lui-même. Peu importe du reste : le fait est que cette couverture (je crois que je vais commencer une collection de livres avec Le Baiser de Klimt en couverture) et le titre ont immédiatement attiré mon attention et mon désir.

Il s’agit donc de nous raconter l’amour, ses joies et ses épreuves, à travers 75 contes, légendes et poèmes de toutes époques et de tous pays, l’intérêt étant de découvrir des histoires pas forcément connues, ou dans des versions nouvelles.

C’est évidemment un enchantement de délicatesse et de sensualité, parfois subtilement érotique, et qui donne envie de se perdre dans le pays amoureux. Beaucoup de contes mettent en évidence le courage des femmes, qui ne renoncent devant aucune épreuve pour sauver leur amour, et j’ai lu beaucoup de ces contes à la lumière de Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estès (et d’ailleurs, certains contes de ce recueil sont des variantes de ceux qui sont étudiés par la psychanalyste). Tous m’ont chavirée, émue, voire bouleversée, mais si je ne devais en choisir qu’un, ce serait « la vivante et le prince mort » qui a vraiment fait écho à mon âme.

Bref, une magnifique découverte !

Contes et mystères du pays amoureux
Henri GOUGAUD
Albin Michel, 2017-2019

Contes très merveilleux des quatre coins du monde

Contes très merveilleux des quatre coins du mondeDans le conte merveilleux, les héros rencontrent des personnages surnaturels : les fées, certes, mais aussi les ogres et ogresses, les trolls, les géants, les dragons à trois ou sept têtes, les lutins, les sorcières et d’autres encore. Rencontrer un ogre au détour d’un chemin n’a rien de plus extraordinaire que de se retrouver devant une passante au coin d’une rue ou d’un voisin devant sa porte. C’est personnages font partie intégrante du quotidien des héros.

J’avais eu ce recueil l’an dernier dans mon calendrier de l’Avent Exploratology, et j’avais décidé de le garder pour le lire cette année à la période de Noël, parce que les contes merveilleux, ça connote les fêtes…

Praline Gay-Para, conteuse et ethnolinguiste, a donc rassemblé pour nous 22 contes merveilleux (nombre presque parfait pour attendre Noël) de tous les pays : Kazakhstan, Amérique, Inde, Finlande, Mongolie, Suède, Antilles, Haïti, Corée, Cuba, Sibérie…

Ici il est question de Princes et de Princesses, de Rois et de bergers, de fées et de sorcières… comme dans les contes que l’on connaît, et c’est justement ce qui est fascinant : par-delà les différences culturelles, on retrouve les mêmes schèmes, les mêmes motifs, parfois le mêmes histoires comme avec ce « Peau de mouton » suédois qui est un Cendrillon inversé (ah ces Suédois, toujours en avance sur la question des femmes : chez eux c’est l’homme qui est sauvé de la persécution de ses frères par la princesse). Cet ensemble constitue donc une lecture très agréable, qui fait voyager à travers les cultures au milieu des êtres merveilleux. J’aurais juste éventuellement apprécié, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un livre pour enfants (même si on peut tout à fait leur lire ces histoires) une petite introduction sur chaque conte pour contextualiser un peu…

Contes très merveilleux des quatre coins du monde
Praline GAY-PARA
Actes Sud, 2014

Quatre coeurs imparfaits, de Véronique Ovaldé et Véronique Dorey

Quatre coeurs imparfaitsRosa Luisa avait eu trois soeurs. 
La plus jeune était folle, la deuxième était pute, la troisième était morte.
J’étais la fille de la troisième et j’habitais avec Rosa Luisa, l’aînée des soeurs.
Je me souviens que Rosa Luisa devait bien avoir cent ans et qu’elle était vierge.

Ainsi commence ce conte sombre pour adultes, dans lequel on retrouve l’univers si particulier de Véronique Ovaldé : un monde de femmes, très onirique, mais où le rêve n’est jamais très loin du cauchemar. Un conte triste et poétique d’amour.

Il est question de grandir, de devenir femme. Mais l’amour semble toujours lié à la mort. Eros et thanatos s’affrontent et il faut faire le choix entre l’ombre et la lumière. Se consumer d’amour toute une vie, devenir folle, mourir… ou choisir finalement de vivre pleinement.

Très beau, très symbolique, ce conte est en outre magnifiquement illustré par Véronique Dorey, qui parvient à rendre parfaitement l’univers de Véronique Ovaldé : ses dessins, véritables oeuvres d’art, sont inquiétantes et lumineuses en même temps, et un petit côté Tim Burton extrêmement plaisant.

Un très beau livre, à mettre entre toutes les mains !

quatre coeurs imparfaits
Quatre coeurs imparfaits
Véronique OVALDÉ et Véronique DOREY
Thierry Magnier, 2015

Lu par Noukette, Mo

Complete short fiction, Oscar Wilde

Complete Wilde's short fictionNow this image he had himself, and with his own hands, fashioned, and had set it on the tomb of the one thing he had loved in life. On the tomb of the dead thing he had most loved had he set this image of his own fashioning, that it might serve as a sign of the love of man that dieth not, and a symbol of the sorrow of man that endureth for ever. And in the whole world there was no other bronze save the bronze of this image. (The Artist)

Vous savez combien j’aime Oscar Wilde, son humour, sa sagesse, sa manière de voir le monde. Aussi, à Londres, avais-je acheté ce recueil de ses histoires courtes, dans la perspective de me mesurer à la langue originale. Comme vous pouvez le constater, j’ai mis le temps, mais j’ai fini par en venir à bout !

Ce recueil rassemble donc toutes les histoires courtes de Wilde, contes, nouvelles et poèmes en prose, certaines parmi ses œuvres les plus connues (Lord Arthur Savile’s crime, The Canterville Ghost) et d’autres que j’ai découverts avec plaisir, notamment The Happy Prince, un très joli conte, très intelligent.

Une lecture particulièrement intéressante, car l’on retrouve en condensé tout l’univers de Wilde : l’humour, mais aussi une grande intelligence de la vie. La langue n’est pas toujours extrêmement facile (ou alors c’est mon anglais qui se rouille, ce qui est possible aussi). En tout cas, une très belle découverte, et un volume auquel je tiens beaucoup, puisqu’il me rappelle ma beloved London (et que, de manière générale, j’aime beaucoup ces éditions Penguin)…

Complete Short Fiction
Oscar WILDE
Penguin Classics

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Contes pervers, de Régine Deforges

Contes perversLa plainte était un souvenir, une respiration, le rythme d’un battement, régulier coup de rame à l’intérieur d’elle-même. C’était vrai que ça tenait à peu de chose. Mais elle était justement éblouie par ce peu de chose, à la fois aérien et acéré. Ça lui était venu d’un coup, dans l’ombre de ce présage élégant sur le pont d’un bateau : un besoin pressant, nouveau, comme un acte de foi érotique dans une nature fière et rigoureuse.

L’autre jour, j’ai fait du rangement dans ma bibliothèque. Le but était de rassembler toute ma collection de littérature érotique sur un même rayon. Et là, je suis tombée sur cet ouvrage, que j’ignorais totalement posséder, je me demande même s’il est à moi, mais en même temps je ne vois pas bien à qui il pourrait être d’autre. Bref. J’ai pris ça comme un signe : celui d’un nécessaire retour aux fondamentaux de l’érotisme.

Neuf contes, neuf situations qui visent à amuser, à distraire — à exciter sans doute — le lecteur, en explorant les fantasmes les plus profonds, les plus sombres, les plus inquiétants. Jeux pervers, ils font fi des tabous, la seule loi étant ici celle du plaisir.

Et bon sang que ça fait du bien ! Evidemment, à ne pas glisser entre toutes les mains : l’ouvrage porte bien son titre, c’est « pervers », et certaines situations, certains textes peuvent mettre mal à l’aise le lecteur, même averti. Mais dans le titre il y a aussi « contes » : les situations sont donc avant tout des fantasmes et non des réalités, l’imagination s’affranchit de toutes limites et le poétique et l’onirique dominent, avec une présence très forte de l’exotisme, du voyage, mais aussi d’un certain mysticisme païen, d’une conception de l’érotisme comme art. Le tout servi par une véritable écriture, un vrai talent pour rendre des ambiances de débauche sans vulgarité, un certain raffinement aussi : dans quel autre ouvrage trouve-t-on le terme rare d' »olisbos » à la place de son équivalent commun (je vous laisse chercher…) ?

J’ai particulièrement aimé le dernier compte, qui met en scène une auteure de textes érotique en panne d’inspiration : mise en abyme subtile et intéressante. Mais l’ensemble est un régal à ne pas refuser. Parfois, ça fait du bien aussi de se replonger dans les classiques !

(En revanche, dans son introduction, Régine Deforges déconseille le film du même nom qu’elle a réalisé et qu’elle trouve mauvais).

Contes Pervers
Régine DEFORGES
Fayard, 1980

Mardi-c-est-permisBy Stephie