le soleil et ses fleurs, de rupi kaur : le cycle de la vie

notre travail doit permettre à
la prochaine génération de femmes
d’être mieux équipées
de faire mieux que nous dans tous les domaines
c’est l’héritage que nous laisserons

Deuxième recueil de l’instapoète rupi kaur (qui, comme bell hooks, n’utilise pas les majuscules, me suis-je rendu compte) et que j’avais très envie de lire, ayant beaucoup apprécié lait et miel (oui j’ai mis des majuscules, je ne savais pas), et d’autant plus que le titre, qui parle de tout ce qui me nourrit, me faisait signe. Et comme il est sorti en poche en début d’année, il n’y avait plus de raisons de ne pas le faire.

Nous avons à nouveau ici un recueil de guérison, organisé en cinq parties, qui suivent le cycle de la vie et de la mort : dans la section « se faner », elle aborde la perte de l’amour et la douleur de la rupture ; ensuite, dans « tomber », elle revient sur la question du viol et de la haine de soi qu’elle engendre ; dans « pourrir », elle parle beaucoup de sa mère et de l’exil. Ces trois parties sont très sombres, habitées par la douleur et la perte, nécessaires avant de pouvoir revenir à la lumière : « se redresser », où il est question de retomber amoureuse et de découvrir la douceur, et enfin « fleurir », l’exaltation de la féminité et de la liberté.

J’aime infiniment la poésie de rupi kaur, d’une grande simplicité (et accompagnée de dessins qui le sont tout autant) et pourtant d’une richesse infinie, dans les sujets abordés et dans les émotions qu’ils font naître. L’amour, la féminité, le viol, la maternité, l’amour de soi, tous s’organisent ici autour des deux axes de la mort et de la renaissance, dans un cycle infini. C’est beau, et encore une fois je pense que toutes les femmes devraient le lire tant le lyrisme personnel parvient à toucher l’universel !

le soleil et ses fleurs
rupi kaur
traduit de l’anglais (Canada) par Sabine Rolland
Paris, Nil, 2019, Pocket, 2023

Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir

Je ne pouvais pas ne pas immédiatement partager cette merveille de poème que je viens de découvrir, et sa poétesse : Madeleine de l’Aubépine. Je vais finir par faire une anthologie des poétesses injustement tombées dans l’oubli, car j’ai l’impression qu’il y a vraiment des pépites à découvrir au fil de l’histoire.

Poétesse et traductrice, Madeleine de l’Aubépine est née en 1546 et morte en 1596. Elle a notamment été l’amie de Ronsard (et même sa fille spirituelle), et de Philippe Desportes, ainsi que la dame d’honneur de Catherine de Médicis.

Le poème que je voulais partager avec vous est celui-ci :

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,
Les étoiles marcher parmi le firmament,
Saturne infortuné luire bénignement,
Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde
Du Soleil s’obscurcir sans force et mouvement,
Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,
Et la Lune en carré changer sa forme ronde,

Le feu sera pesant et légère la terre,
L’eau sera chaude et sèche et dans l’air qui l’enserre,
On verra les poissons voler et se nourrir,

Plutôt que mon amour, à vous seul destinée,
Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,
Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir.

C’est absolument sublime !

Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant / Et c’est dans cette mort que je trouve la vie

Nouvelle découverte dans le champ poétique féminin : Marie-Catherine de Villedieu. Il me semble que j’avais déjà entendu son nom, mais on va être honnête, il y a vraiment un gros travail de redécouverte et de mise en avant des autrices de l’histoire de la littérature à faire. J’enfonce une porte ouverte, en disant cela, j’en ai bien conscience, mais parfois, répéter les évidences ne fait pas de mal.

Poétesse, dramaturge et romancière française, Marie-Catherine Desjardins dite de Villedieu est née vers 1640 on ne sait pas vraiment où, et morte en 1683. L’année de ses 18 ans, elle rencontre Antoine de Boësset, sieur de Villedieu et commence alors une liaison passionnée qui la fait en quelque sorte naître à l’écriture, avec le poème intitulé « Jouissance » que je vous mets plus bas, et qui a été jugé et jugé scandaleusement libertin. Après une promesse solennelle de mariage, les deux amants rompent en 1667, peu avant le décès tragique de Villedieu au siège de Lille, et c’est grâce à cette promesse que Marie-Catherine put se faire appeler « de Villedieu » et se faire officiellement considérer, avec l’approbation de sa belle-famille, comme sa veuve.

Suit une vie d’écrivaine, très riche en publication, et elle était à son époque très reconnue sur la scène littéraire. Et c’est ce poème, « Jouissance », que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui :

Aujourd’hui dans tes bras j’ai demeuré pâmée,
Aujourd’hui, cher Tirsis, ton amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur
Et je cède aux transports dont mon âme est charmée.

Ta flamme et ton respect m’ont enfin désarmée ;
Dans nos embrassements, je mets tout mon bonheur
Et je ne connais plus de vertu ni d’honneur
Puisque j’aime Tirsis et que j’en suis aimée.

Ô vous, faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que l’on goûte ici-bas,
Apprenez les transports dont mon âme est ravie !

Une douce langueur m’ôte le sentiment,
Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant,
Et c’est dans cette mort que je trouve la vie.

Je trouve cela absolument magnifique. Et vous ?

Odes, Elégies, Hymnes de Friedrich Hölderlin : habiter poétiquement le monde

Et l’un toujours d’entre les génies propices
Habite sa demeure pour le bénir, et même
Si toutes contre nous faisaient rage leurs
Forces sans âme, l’Amour est là qui aime.

Hölderlin, pour moi, c’est celui qui « habite poétiquement le monde« , expression que je reprends allègrement à mon compte et dont j’ai fait ma devise. Ce qu’il dit exactement d’ailleurs, c’est : « Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme« . Pour autant, je ne m’étais jamais intéressée plus avant à ce poète particulier et à ses œuvres, et je ne sais pas pourquoi, l’autre jour, j’ai eu envie de m’y plonger.

Bien sûr, il est impossible de « résumer » un recueil de poèmes. Dans ce volume que j’ai choisi sont rassemblés ses Odes, ses élégies et ses hymnes. Des poèmes souvent empreints de mythologie, et marqués par un lyrisme profond.

Et je ne sais pas bien quoi en dire, car comme l’ensemble est assez hétérogène et divers, j’ai été diversement touchée, et parfois perdue : ce n’est pas une poésie simple, et je pense de toute façon que la poésie perd à la traduction (et l’allemand n’est pas une langue que je pratique). Néanmoins, ça et là, j’ai été émerveillée par certains vers, certaines strophes. Notamment celle que j’ai mise en exergue. Rien que pour ce petit bout de vers, « L’Amour est là qui aime », cette lecture valait la peine !

Odes, Elégies, Hymnes
Friedrich Hölderlin
Traductions de Michel Deguy, André du Bouchet, François Fédier, Philippe Jaccottet, Gustave Roud et Robert Rovini
Gallimard, poésie, 1993

cette chose d’or qui s’appelle le Jour

Petit instant poétique aujourd’hui avec cette tirade du coq Chantecler dans la pièce d’Edmond Rostand. Je ne connaissais pas ce texte mais je n’ai trouvé d’une grande puissance poétique dans ce cri d’amour de la nature au soleil et à la vie !

Et ce cri qui monte de la Terre,
Ce cri, c’est un tel cri d’amour pour la lumière,
C’est un si furieux et grondant cri d’amour
Pour cette chose d’or qui s’appelle le Jour,
Et que tout veut ravoir : le pin sur ses écorces,
Les sentiers soulevés par des racines torses
Sur leurs mousses, l’avoine en ses brins délicats
Et les moindres cailloux dans leurs moindres micas ;
C’est tellement le cri de tout ce qui regrette
Sa couleur, son reflet, sa flamme, son aigrette
Ou sa perle ; le cri suppliant par lequel
Le pré mouillé demande un petit arc-en-ciel
À chaque pointe verte, et la forêt mendie
Au bout de chaque allée obscure un incendie ;
Ce cri, qui vers l’azur monte en me traversant,
C’est tellement le cri de tout ce qui se sent
Comme mis en disgrâce au fond d’un vague abîme
Et puni de soleil sans savoir pour quel crime ;
Le cri de froid, le cri de peur, le cri d’ennui
De tout ce que désarme ou désœuvre la Nuit ;
De la rose tremblant, dans le noir, toute seule ;
Du foin qui veut sécher pour aller dans la meule ;
Des outils oubliés dehors par les faucheurs
Et qui vont se rouiller dans l’herbe ; des blancheurs
Qui sont lasses de ne pas être éblouissantes ;
C’est tellement le cri des Bêtes innocentes
Qui n’ont pas à cacher les choses qu’elles font,
Et du ruisseau qui veut être vu jusqu’au fond ;
Et même – car ton œuvre, ô Nuit ! te désavoue –
De la flaque qui veut miroiter, de la boue
Qui veut redevenir de la terre en séchant ;
C’est tellement le cri magnifique du champ
Qui veut sentir pousser son orge ou ses épeautres ;
De l’arbre ayant des fleurs qui veut en avoir d’autres ;
Du raisin vert qui veut avoir un côté brun ;
Du pont tremblant qui veut sentir passer quelqu’un
Et remuer encor doucement sur ses planches
Les ombres des oiseaux dans les ombres des branches ;
De tout ce qui voudrait chanter, quitter le deuil,
Revivre, resservir, être une berge, un seuil,
Un banc tiède, une pierre heureuse d’être chaude
Pour la main qui s’appuie ou la fourmi qui rôde ;
Enfin, c’est tellement le cri vers la clarté
De toute la Beauté, de toute la Santé,
Et de tout ce qui veut, au soleil, dans la joie,
Faire son oeuvre en la voyant, pour qu’on la voie ;
Et, lorsque monte en moi ce vaste appel au jour,
J’agrandis tellement toute mon âme pour
Qu’étant plus spacieuse elle soit plus sonore
Et que le large cri s’y élargisse encore ;
Avant de le jeter, c’est si pieusement
Que je retiens ce cri dans mon âme, un moment ;
Puis, quand, pour l’en chasser enfin, je la contracte,
Je suis si convaincu que j’accomplis un acte ;
J’ai tellement la foi que mon cocorico
Fera crouler la Nuit comme une Jéricho…

Edmond ROSTAND, Chantecler

Souvent le cœur qu’on croyait mort / N’est qu’un animal endormi 

En faisant mes recherches pour l’Oracle des poètes, je suis souvent tombée sur des textes de Cécile Sauvage. J’en avais déjà entendu parler, mais je ne sais pas pourquoi, je m’étais persuadée qu’il s’agissait d’une poétesse contemporaine (non, je ne confonds pas avec Cécile Coulon). C’est intéressant d’ailleurs cette méprise : cela montre bien l’intemporalité et l’universalité de la poésie, puisque ses textes semblent avoir été écrits hier. Cécile Sauvage est une poétesse et femmes de lettres née en 1883 et décédée en 1827, après avoir eu une vie plutôt riche et avoir été une autrice reconnue. Je trouve vraiment dommage qu’on n’en parle pas plus aujourd’hui. Mais je vais creuser, car elle pourra nourrir, elle aussi, le personnage d’Adèle.

J’avais donc envie de partager avec vous ce poème, qui illustre la carte « Cœur » de mon oracle, qui tombe souvent en ce moment :

Souvent le coeur qu’on croyait mort
N’est qu’un animal endormi
 ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile SAUVAGE, Mélancolie

Et je t’aimerai encore, de Lucas Clavel : hymne à l’amour

La vraie aventure
c’est d’
apprendre à aimer,
car l’amour est une montagne à gravir,
un sommet qui se doit d’être mérité.
Et moi je veux faire des efforts
pour être digne de
ton amour.

Il y a quelque temps, je suis tombée sur le compte Instagram de Lucas Clavel, sur lequel il partage beaucoup de belles choses et notamment des extraits de ses livres, en particulier celui-ci. Et j’ai été littéralement frappée par la foudre : la beauté de ses phrases, de sa pensée m’a immédiatement envie de lire ce recueil.

Magnifiquement préfacé par Marion Séclin, Et je t’aimerai encore est une lettre d’amour à la femme aimée, une femme blessée, abîmée, dont le coeur s’est fermé et qui a du mal à s’abandonner à nouveau aux sentiments. C’est aussi, en même temps, un recueil d’aphorismes et de pensées sur l’amour.

Je ne vais pas trouver grand chose à dire, si ce n’est que c’est absolument sublime et que ce recueil poétique m’a littéralement ravie, transportée, nourrie. Lucas Claver est un aimant : l’amour ici n’est pas seulement un sentiment qui nous bouleverse, c’est une action, c’est une œuvre d’art à laquelle on s’attelle chaque jour pour lui donner forme. Et tout dans ce recueil est travaillé en ce sens : les mots, leur résonnance, la forme, avec un très beau travail sur la typographie, le tout au service d’un hymne à ce qui est le plus beau au monde.

Et je t’aimerai encore
Lucas CLAVEL
Les éditions des audacieux, 2021