le soleil et ses fleurs, de rupi kaur : le cycle de la vie

notre travail doit permettre à
la prochaine génération de femmes
d’être mieux équipées
de faire mieux que nous dans tous les domaines
c’est l’héritage que nous laisserons

Deuxième recueil de l’instapoète rupi kaur (qui, comme bell hooks, n’utilise pas les majuscules, me suis-je rendu compte) et que j’avais très envie de lire, ayant beaucoup apprécié lait et miel (oui j’ai mis des majuscules, je ne savais pas), et d’autant plus que le titre, qui parle de tout ce qui me nourrit, me faisait signe. Et comme il est sorti en poche en début d’année, il n’y avait plus de raisons de ne pas le faire.

Nous avons à nouveau ici un recueil de guérison, organisé en cinq parties, qui suivent le cycle de la vie et de la mort : dans la section « se faner », elle aborde la perte de l’amour et la douleur de la rupture ; ensuite, dans « tomber », elle revient sur la question du viol et de la haine de soi qu’elle engendre ; dans « pourrir », elle parle beaucoup de sa mère et de l’exil. Ces trois parties sont très sombres, habitées par la douleur et la perte, nécessaires avant de pouvoir revenir à la lumière : « se redresser », où il est question de retomber amoureuse et de découvrir la douceur, et enfin « fleurir », l’exaltation de la féminité et de la liberté.

J’aime infiniment la poésie de rupi kaur, d’une grande simplicité (et accompagnée de dessins qui le sont tout autant) et pourtant d’une richesse infinie, dans les sujets abordés et dans les émotions qu’ils font naître. L’amour, la féminité, le viol, la maternité, l’amour de soi, tous s’organisent ici autour des deux axes de la mort et de la renaissance, dans un cycle infini. C’est beau, et encore une fois je pense que toutes les femmes devraient le lire tant le lyrisme personnel parvient à toucher l’universel !

le soleil et ses fleurs
rupi kaur
traduit de l’anglais (Canada) par Sabine Rolland
Paris, Nil, 2019, Pocket, 2023

Journal d’une fiancée, d’Anaïs Nin : la naissance de l’amour

Je ne veux écrire sur rien d’autre. D’une certaine façon, je sens que c’est un sujet digne de mériter tout mon intérêt, mon adoration, mon entière dévotion. Je suis même fière d’être portée par lui, à tel point que tout le reste me paraît sans importance. C’est vrai, j’ai souvent écrit que le jour où je serais appelée à jouer un rôle dans la Vie, je devrais avant tout me montrer Femme. Et aujourd’hui j’écris, je travaille, mais avant tout je suis une femme et mon cœur et mon âme sont perdus dans les merveilles de l’amour, car c’est de l’amour que je parle, bien sûr.

Deuxième volume du Journal d’Anaïs Nin, inclus dans les Journaux de jeunesse, le Journal d’une fiancée (titre prémonitoire, donné avant même de savoir ce qui allait se passer) et va de l’été 1920 à février 1923, la veille de son mariage avec Hugo Guiler.

C’est une étape importante dans sa vie, puisqu’elle rencontre son mari, découvre l’amour, continue à écrire, et travaille en posant pour des peintre. La jeune femme est en train d’éclore.

Un volume particulièrement intéressant donc dans le parcours d’Anaïs Nin, qui devient femme grâce au sentiment amoureux, qui a été finalement la grande préoccupation de toute sa vie. L’amour pour Hugo naît et grandit au fil des pages, comme toute amoureuse elle se retrouve sur des montagnes russes, et c’est d’autant plus intéressant qu’elle écrit dans le mouvement de son âme, sans connaître la fin que nous connaissons. Et dans ce volume, elle est, enfin, pleinement dans la vie alors qu’avant elle ne faisait que l’observer : elle écrit moins, mais c’est plus dense et intense.

Bien sûr, elle reste une jeune fille naïve de son époque, encore très prude et aux idées bien arrêtées sur la place des femmes, ce qui peut être agaçant (mais à remettre dans le contexte), et sa mère est de plus en plus possessive et toxique, ce qui donne quelques passages assez stupéfiants.

Un volume encore une fois d’une grande richesse, dont je ne me lasse pas de relever des citations sur l’amour, sur l’écriture, sur la pensée tant cela me nourrit. Vraiment il faut lire les journaux d’Anaïs Nin !

Journaux de jeunesse (1914-1931) / II. Journal d’une fiancée (1920-1923)
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais par Béatrice Commengé
Stock, 2010

La Vie absolue, de Didier van Cauwelaert : réparer les vivants

Je me ressaisis. Pas question de redevenir une âme errante corvéable à merci, comme aux premiers temps de mon trépas. Aucune envie de fragiliser cette autonomie relative qui m’a coûté tant d’efforts. La présence obligée qu’entraîne l’exhumation de mon corps ne sera, je suppose, qu’une parenthèse sans suite. Mon rappel sur Terre s’achèvera quand mon caveau sera refermé. Je ne fais plus partie de l’avenir de Fabienne : je dois accepter de ne rien pouvoir pour elle, quelle que soit la force de ses prières.

Chaque année c’est le même rituel, aux alentours du mois de mai : le dernier roman de mon auteur chouchou, que je lis d’une traite, en une soirée délicieuse. Chaque année la curiosité de découvrir ce qu’il a été inventer, mais toujours avec la même confiance, la certitude de passer un bon moment (j’en ai aimé certains moins que d’autres, mais il n’y en a aucun que je n’ai pas aimé du tout).

Ce roman est une suite de La vie interdite, mais on peut tout à fait le lire de manière indépendante car les événements sont clairement rappelés.

Mort depuis 25 ans, Jacques Lormeau (enfin, son corps) est exhumé pour une recherche en paternité, et son esprit se voit donc ramené auprès des siens, alors qu’il était bien tranquille, et se retrouve à naviguer d’un personnage à l’autre, sa femme, sa maîtresse, son fils, la jeune fille qui espère qu’il est son père, et quelques autres personnages.

Il y a tout de même, chez l’auteur, une obsession pour cette thématique de la filiation et de la paternité, mais traitée à sa manière. C’est profondément drôle, léger malgré le tragique, grâce au regard surplombant de ce fantôme qui va et vient de l’un à l’autre. Et surtout, c’est réconfortant, comme un doudou : plein d‘amour et de tendresse, et on sait que quoi qu’il arrive, cela va bien se finir (même si je suis un peu réservée sur un point, niveau honnêteté des personnages mais passons), et par les temps qui courent c’est plutôt bienvenu ! Et toujours, ce tour de magie qui consiste à allier la gaité, et la mélancolie !

La Vie absolue
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2023

La pensée ésotérique de Léonard de Vinci, de Paul Vulliaud : un monde de symboles

Son œuvre est symbolique, nous le verrons, incontestablement ; or le symbole est le signe sensible au moyen duquel l’artiste a exprimé sa Pensée. Si nous déchiffrons le symbole, tout mystère s’évanouira. Avouons-le, la difficulté reste extrême. Cet homme fameux a préféré pour vêtir son abstraction la plastique à la parole qui elle, déjà, peut se retirer dans un sanctuaire souvent invincible.

L’autre jour, au Clos-Lucé, je suis tombée sur ce petit ouvrage, un « classique » datant des années 20 (je n’ai pas trouvé de date précise). Les sujets tournant autour de l’ésotérisme m’intéressent toujours, je ne connais pas très bien Léonard de Vinci, et la quatrième de couverture promet « une perspective post Da Vinci Code » (ce que je trouve d’ailleurs culotté vu que l’ouvrage a été écrit bien avant, mais passons) : il n’en fallait pas plus pour m’allécher.

Dans ce court essai, Paul Vulliaud se propose donc d’explorer la pensée philosophique et religieuse de Léonard de Vinci par le biais de ses tableaux, et non de ses manuscrits.

Alors. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur ne se prend pas pour la queue d’une poire : pour faire simple, tous ceux qui ont un avis différent du sien sont des imbéciles (je pence que le Da Vinci Code l’aurait fait s’étrangler). En outre, il s’agit d’un ouvrage très hermétique, c’est le cas de le dire, élitiste, et souvent pontifiant. Alors même qu’il manque singulièrement de rigueur : j’ai eu souvent l’impression que le sujet (Léonard de Vinci) était complètement oublié, au profit de discussions oiseuses ; de plus, tout le développement, qui consiste finalement à montrer que la peinture de Vinci est symbolique (ce qui tombe un peu sous le sens), ne s’appuie guère que sur deux tableaux : Saint Jean-Baptiste et Bacchus. Alors soit, mais Vinci a peint plus que ça. Mais, évidemment l’avantage de ces deux tableaux, c’est qu’ils permettent d’enfermer Vinci dans une pensée christianocentrée, alors même qu’il est évident que Vinci était beaucoup plus que ça, et je pense profondément que cet essai trahit donc son sujet, y compris dans l’analyse de certains symboles (par exemple, il rappelle doctement que la grenade est le fruit qui symbolise l’Eglise, « oubliant » au passage (ignorance ou mauvaise foi ?) que ce symbolisme est un détournement de la grenade comme symbole de fertilité et de puissance sexuelle, lié à la grande déesse mère).

Bref vous l’aurez compris : cet ouvrage m’a profondément agacée, et pas appris grand chose.

La Pensée ésotérique de Léonard de Vinci
Paul VULLIAUD
Dervy, 1981/2022

Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir

Je ne pouvais pas ne pas immédiatement partager cette merveille de poème que je viens de découvrir, et sa poétesse : Madeleine de l’Aubépine. Je vais finir par faire une anthologie des poétesses injustement tombées dans l’oubli, car j’ai l’impression qu’il y a vraiment des pépites à découvrir au fil de l’histoire.

Poétesse et traductrice, Madeleine de l’Aubépine est née en 1546 et morte en 1596. Elle a notamment été l’amie de Ronsard (et même sa fille spirituelle), et de Philippe Desportes, ainsi que la dame d’honneur de Catherine de Médicis.

Le poème que je voulais partager avec vous est celui-ci :

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,
Les étoiles marcher parmi le firmament,
Saturne infortuné luire bénignement,
Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde
Du Soleil s’obscurcir sans force et mouvement,
Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,
Et la Lune en carré changer sa forme ronde,

Le feu sera pesant et légère la terre,
L’eau sera chaude et sèche et dans l’air qui l’enserre,
On verra les poissons voler et se nourrir,

Plutôt que mon amour, à vous seul destinée,
Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,
Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir.

C’est absolument sublime !

Les dernières Déesses, de Kateřina Tučková : les anciens cultes

Longtemps, Dora avait cru que c’était cet événement qui avait marqué le début de tous leurs malheurs. Sauf que ça n’avait pas commencé là, à l’instant où, dans le chalet de Koprvazy, ils avaient découvert le corps de leur mère. Dora n’était pas bête, elle comprenait que ça avait commencé bien avant, tellement avant que sa courte mémoire ne pouvait pas remonter jusque-là. Elle ne se faisait pas d’illusions : derrière ces mines contrites et ces « Quel malheur ! » ou « Pourquoi vous, pourquoi justement vous ? ! » il se chuchotait dans son dos ce qu’elle avait fini par entendre : il fallait s’y attendre, ça devait arriver. D’une façon ou d’une autre ça devait se terminer par un malheur. Parce que sa mère elle aussi était une déesse et que les déesses n’ont pas le destin facile.

L’autre jour, en lisant La Sorcière de Limbricht, mon œil a été attiré par un autre ouvrage de cette nouvelle collection qui met en avant des autrices d’aires linguistiques peu traduites en français, et des histoires de femmes en marge. Comme on voit, je n’ai pas mis très longtemps à succomber à la tentation de cette histoire de femmes puissantes.

Les Déesses de Zitkova : c’est le sujet de la thèse de Dora, en ethnographie. Comme tout sujet de thèse, elle ne l’a pas choisi au hasard : elle-même est issue d’une de ces lignées de guérisseuses qu’on appelle déesses dans sa région des Carpates blanches. Mais il s’agit d’une thèse effectuée au temps de la dictature communiste, qui avait à l’époque entrepris une véritable chasse aux sorcières, dictée cette fois par le matérialisme scientifique. Autant dire que cette thèse passe à côté de beaucoup de choses, et, après la Révolution de Velours, Dora décide de lever le voile sur certains mystères.

J’ai adoré ce roman, qui se révèle passionnant sur le plan historique : on a l’habitude des chasses aux sorcières du XVIIe siècle (et il en est un peu question), mais on ne parle que peu (en tout cas en Europe de l’Est) de celle entreprise par les régimes communistes, qui accusaient ces femmes non plus d’avoir pactisé avec le Diable, mais au contraire d’être contre le progrès ; quoi qu’elles fassent, à toutes les époques, ça ne va pas. L’ouvrage aborde également les recherches des nazis concernant ces femmes, dont ils pensaient qu’elles étaient les dépositaires de très anciens cultes qui étaient à l’origine de certaines de leurs théories. Tout cet arrière-plan historique est fascinant.

L’histoire elle-même (puisqu’il s’agit d’un roman et non d’un livre d’histoire) est tout ce que j’aime : une lignée maternelle, un héritage, et la question de trouver sa place de femme, et j’ai avec plaisir suivi Dora dans ses explorations, même si je n’ai pas trouvé le personnage spécialement sympathique. J’avoue également que je me suis complètement perdue dans les personnages, et qu’un arbre généalogique aurait été bienvenu. Mais le vrai problème, selon moi, et qui a un peu gâché mon impression finale, vient du dernier chapitre : selon moi, il manque des choses, je pense que j’ai compris de quoi il était question mais je n’en suis même pas certaine.

Néanmoins, malgré ce bémol, je crois que cela reste un roman à découvrir, sur un thème assez à la mode mais dont personnellement je ne me lasse pas, et qui, de par l’aire géographique concernée, est traité avec originalité.

Les Dernières Déesses
Katerina TUCKOVA
Traduit du tchèque par Eurydice Antolin
Charleston, « Les Ailleurs », 2023

Tribus, de Seth Godin : la force des hérétiques

Une tribu est un groupe de personnes connectées entre elles, connectées à un leader et connectées à une idée. Depuis des millions d’années, les êtres humains appartiennent à une tribu ou à une autre. Un groupe n’a besoin que de deux choses pour constituer une tribu : un intérêt commun et une façon de communiquer.

Je réfléchissais l’autre jour à la question du groupe et des communautés, et on m’a conseillé ce livre. J’étais un peu méfiante : le livre que j’avais lu de Seth Godin sur la créativité, La Méthode, ne m’avait pas paru si révolutionnaire et utile que cela. Néanmoins, je me suis dit que comme j’y avais noté des remarques intéressantes sur le leadership, il connaissait visiblement son sujet, et qu’après tout je ne risquais rien à y jeter un œil.

Il s’agit donc ici de réfléchir à la notion de leadership et de tribus : comment trouver et construire une communauté, comment mener grâce notamment aux outils offerts par internet (même si, l’ouvrage datant de 2008, il n’est pas très à jour sur les évolutions), comment devenir un « hérétique« , c’est-à-dire quelqu’un qui sort des clous, comment initier les changements et voir ceux du monde comme des opportunités. Comment s’engager.

Il ne s’agit pas d’un essai à proprement parler, au sens où il n’y a pas de plan ni de structure, mais plutôt une suite de courtes réflexions orientées « coaching de motivation » à l’américaine, avec des exemples, des idées, mais absolument pas de conseils pratiques. Des idées plutôt juste au demeurant, des choses inspirantes, des pistes intéressantes à explorer, notamment une réflexion sur les blogs qui m’a rappelé ce que dit Austin Kleon, ainsi qu’un développement très intéressant sur la foi/religion mais appliquée à la société entière (ceux qui veulent maintenir les choses telles qu’elles sont) et les hérétiques, ceux qui agissent différemment, en dehors du cadre, et initient le changement.

Intéressant, mais encore une fois pas du tout révolutionnaire !

Tribus. Nous avons besoin de vous pour nous mener.
Seth GODIN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marylène Delbourg-Delphis
Diateino, 2020