C’est un instant poétique, même si c’est plus que de la poésie. Aujourd’hui j’avais envie de partager avec vous ce sublime extrait de Les Vrilles de la Vigne : encore Colette, oui, qui en ce moment m’accompagne chaque jour, et qui ne cesse de m’émerveiller. Dans cet extrait, alors qu’elle est dans la baie de Somme avec son amante Missie, déprimée par le mauvais temps (la « nouvelle s’appelle « Jour Gris »), elle se met à penser à son pays natal et y invite la femme qu’elle aime dans un voyage imaginaire. Par la grande magie de l’écriture, elle fait d’un paysage banal un endroit merveilleux et onirique, où elle se perd elle-même. Et c’est beau…
Et si tu arrivais, un jour d’été dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, – si tu regardais bleuir, au lointain une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie !
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous…
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales4 d’un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur, jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde… C’est une forêt ancienne, oubliée des hommes… et toute pareille au paradis, écoute bien, car…
Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ? Je ne sais plus… je parlais, je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux jaloux… Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine… Il faut que je refasse le chemin, il faut qu’une fois encore j’arrache de mon pays, toutes mes racines qui saignent…
Me voici ! de nouveau je t’appartiens. Je ne voulais qu’oublier le vent et la mer. J’ai parlé en songe… Que t’ai-je dit ? Ne le crois pas ! Je t’ai parlé sans doute d’un pays de merveilles, où la saveur de l’air enivre ?… Ne le crois pas ! N’y va pas : tu le chercherais en vain. Tu ne verrais qu’une campagne un peu triste, qu’assombrissent les forêts, un village paisible et pauvre, une vallée humide, une montagne bleuâtre et nue qui ne nourrit pas même les chèvres…
Merci pour ce joli texte
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😉
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