Le sureau ratiboisé

Le sureau ratiboisé

J’ai déjà parlé de l’attachement viscéral que j’éprouve pour ce sureau. Pas seulement parce qu’il me donne en mai des fleurs délicieusement parfumées dont je fait des beignets et du gin aromatisé ; pas seulement parce que tout comme moi, les oiseaux l’adorent, s’y perchent et y nichent, ce qui crée une agitation cuicuitante qui me met en joie ; pas seulement parce que ses grandes branches, en été, procurent de la fraîcheur et permettent à ma chambre de rester agréable même en cas de canicule.

Non, il y a aussi des raisons plus symboliques : il s’est installé dans le jardin en même temps que moi dans mon appartement, et nous avons grandi ensemble, côte à côte et connectés. Dans la tradition celte, le sureau est un arbre sacré : il est utilisé pour nombre de potions, mais il est surtout symbole de vie et de mort, de renaissance, de transformation, de renouveau, de régénération, de changement, d’évolution, de transition. Et je trouve cette synchronicité très belle.

Mais voilà : ce sureau, qui m’apporte tant de joie, en dérange d’autres. Qui le trouvent envahissant. Quand je dis d’autres, c’est un autre, qui n’aime pas la vie, qui n’aime pas ce qui pousse, qui n’aime que l’ordre étriqué. Depuis deux ans il était donc question de le ratiboiser afin qu’il ne gêne plus (il ne gêne pas). Jusqu’à présent, j’avais réussi à le sauver, argumentant sur la fraîcheur (parce que les oiseaux, j’ai bien compris, tout le monde s’en fout sauf moi et la propriétaire de l’appartement au-dessus, mais elle n’y vit plus…). On lui avait coupé quelques branches, et cela suffisait.

Et voilà que vendredi dernier, je me réveille avec une sensation d’angoisse et de colère, mal lunée quoi. Ce qui n’arrive jamais les jours où je ne vais pas à mon travail alimentaire, parce que ces jours là je suis heureuse de la journée qui commence et de ce que je vais faire. Ce n’était donc pas normal. Et voilà ce qui est arrivé dans la matinée. Ils ont complètement… je n’ai même pas de mots pour qualifier ce qu’ils ont fait à mon sureau, sans que je puisse intervenir puisque non propriétaire, je n’ai pas mon mot à dire. Ils n’ont laissé qu’un vague tronc et de grosses branches : un sureau, ça pousse vite, mais je doute qu’il pousse assez vite pour refaire de belles branches avant le printemps.

Dans Les émotions cachées des plantes (il le raconte aussi dans Le Nouveau dictionnaire de l’impossible), Didier van Cauwelaert raconte une expérience où un arbre qui lui était cher lui avait en quelque sorte transmis, par télépathie (ou une sorte de) qu’il allait être coupé. Je suis persuadée que c’est ce qui s’est passé dans mon cas.

Le fait est que cette histoire m’a mise dans une colère noire. Littéralement, j’en ai pleuré de rage (et je n’ai pas encore vu le responsable du désastre, et je suis rarement méchante mais là je vais l’être ; cela dit je ne suis pas certaine que martyriser un arbre sacré soit porteur de chance). Alors je suis hypersensible donc chez moi, les émotions, quand je les laisse circuler, c’est assez impressionnant. J’étais en colère parce que mes oiseaux (je vais aller acheter un nichoir, mais je doute que ça leur plaise, et ce monde de silence va m’oppresser), parce que mes fleurs, et parce que la température dans ma chambre l’été.

Mais je sentais, tout de même, que cela venait toucher autre chose. Et j’ai fini par mettre le doigt dessus : j’ai l’impression que c’est ce qu’on m’a fait et que je me suis fait toute ma vie : me ratiboiser, couper mes branches pour ne pas déranger et prendre trop de place.

10 commentaires

  1. Mark in Mayenne dit :

    Condoleances

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  2. lizagrece dit :

    L’ile d’Egine oû j’ai vécu 6 ans et qui est l’un de mes lieux de villégiature est bordée de nombreux eucalyptus. Un beau matin il y a 2 ans la municipalité a décidé de les ratiboiser. Pas de les étêter proprement … Non ! Un véritable massacre. J’ai assisté avec consternartion à ce massacre. Et.. à ma grande surprise j’ai pu voir l’été derniers ces arbres refaire des feuilles et croitre de nouveau. J’espère qu’il en sera de même ppour ton sureau

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    1. Les sureaux poussent très vite donc oui, il devrait se refaire une santé, mais enfin je suis consternée, tu as trouvé le mot juste !

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  3. Emilie dit :

    Je comprends ta colère (ta rage), ton chagrin, ta consternation, j’espère que le sureau retrouvera son beau feuillage, les oiseaux leur perchoir, et toi la fraîcheur et tous les bienfaits de cet ami végétal.

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    1. J’espère oui ^^

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  4. Les gens en général n’aiment guère tout ce qui pousse là où ils ne l’ont pas décidé. Hélas.

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