Lorsqu’elle avait dit qu’elle voulait des sandwichs au concombre et au cresson à son mariage, je l’avais revue, disposant des assiettes de sandwichs au concombre et au cresson sur les tables que nous avions installées autour de la piscine pour le déjeuner le jour de ses seize ans. Lorsqu’elle avait dit qu’elle voulait des colliers de fleurs à son mariage plutôt que des bouquets, je l’avais revue, à trois ou quatre ou cinq ans, descendre d’un avion sur la piste de Bradley Field, à Hartford, arborant la guirlande qu’on lui avait passée autour du cou la veille au soir à son départ d’Honolulu. Il faisait moins quinze ce matin-là dans le Connecticut et elle ne portait pas de manteau (elle n’en avait pas mis quand nous étions partis de Los Angeles pour Honolulu, nous n’avions pas prévu d’aller jusqu’à Hartford) mais cela ne lui posait pas le moindre problème. Les enfants qui ont des colliers de fleurs ne portent pas de manteau, m’informa-t-elle.
Lorsque j’ai appris la mort de Joan Didion, m’a première pensée, assez sentimentale, n’a pas été que la littérature perdait une de ses grandes plumes. Non, ma pensée a été qu’elle rejoignait John et Quintana. Les deux êtres chers qu’elle a perdus coup sur coup. J’avais lu l’Année de la Pensée magique, où elle parle de la perte de son mari, il y a quelques années ; pour Le Bleu de la nuit, il me faisait un peu peur, j’en avais d’ailleurs parlé dans mon article sur le recueil d’articles l’Amérique ; pourtant je l’ai lu dans les semaines qui ont suivies, mais je n’en ai pas parlé, je ne sais plus pourquoi, mais aujourd’hui, alors que Joan Didion vient de mourir et son dernier livre de sortir (j’en parlerai bientôt), je me suis dit qu’il fallait.
Alors qu’elle est en tournée promotionnelle pour L’Année de la Pensée magique, la fille de Joan Didion, Quintana, meurt à son tour. Alors, elle veut lui rendre hommage. Ce n’est pas une suite, c’est surtout un ouvrage de mémoire, dans lequel elle raconte son enfant.
Un ouvrage bouleversant de par sa situation d’énonciation, mais qui n’est, pourtant, animé d’aucun pathos : Joan Didion est directe, sans fioritures, et elle égraine ses souvenirs de sa fille, les réflexions sur la maternité, l’adoption, la perte, la vieillesse, la fragilité, sans aucun ordre sinon émotionnel, et cela en fait un grand livre. Ecrit par nécessité : car, qu’est-ce qui a permis à Joan Didion de tenir debout après cette double perte, sinon l’écriture ?
Le Bleu de la Nuit
Joan DIDION
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty
Grasset, 2013 (Livre de Poche 2014)
Je ne connais pas du tout cette romancière… Mais le sujet ne me tente pas, malgré le grand bien que tu en dis. je passe !
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C’est particulier, c’est sûr…
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