Strates, de Kathleen Jamie : les couches de la mémoire

Strates, de Kathleen Jamie : les couches de la mémoire

J’ai fouillé parmi les couches de ma propre vie, consignées dans les carnets. Certains étaient à spirale, faciles à ouvrir sur le genou. Certains étaient assez petits pour pouvoir être glissés dans une poche revolver, la plupart étaient assez minces pour pouvoir être tordus. Aucun n’était original, pas de couleurs ou d’accessoires. Je savais que le carnet que je cherchais était particulièrement épais et simple ; je me rappelle avoir pensé que je serais à l’étranger longtemps et que j’aurais du mal à en trouver de rechange. Enfin je l’ai tenu dans ma main, un carnet Alwych solide avec une bordure bleue. Il était facile à identifier parce qu’au cours de ses pérégrinations j’avais collé sur sa couverture une carte postale représentant une peinture bouddhiste tibétaine, une thangka. En revoyant la carte, je me suis vaguement souvenue l’avoir achetée à un vendeur de rue, sans savoir ce qu’elle signifiait, simplement séduite par l’exotisme de l’image. 

La stratigraphie est la discipline qui étudie la succession des différentes couches géologiques, ou strates : de manière logique, la strate la plus en surface est la plus récente. Il en est de même en archéologie, où les fouilles mettent à jour les vestiges par couches. Et dans la mémoire de tout être humain, même si les couches ont tendance à se mélanger. Et c’est à cette association de la mémoire, de l’archéologie et de la fouille qu’est consacré cet ouvrage, qui est à la fois un essai et un récit.

La narratrice, passionnée par la culture inuit, nous emmène dans un premier temps sur un site archéologique, à Quinhagak, en Alaska, où son mis au jour des vestiges permettant aux habitants de retrouver la mémoire de leur peuple et un peu de leur passé qui a été oublié et effacé. Elle nous conduit ensuite vers d’autres fouilles, dans les Orcades, puis dans ses propres souvenirs, et notamment ceux d’un voyage en Chine en pleine tentative de Révolution en 1989.

Si j’ai été un peu déstabilisée au début, j’ai vite été happée par ce mi-documentaire mi-récit très dépaysant, qui nous entraîne dans un monde sauvage (rempli d’ours) avec une femme sauvage. Souvent poétique, le récit nous montre comment grâce aux fouilles, aux contes, aux légendes, les traditions qu’on croyait oubliées peuvent renaître : elles n’étaient pas loin et palpitaient, là, juste sous la surface (le titre original est surfacing). On peut retrouver ses racines, que ce soit à titre individuel ou collectif en creusant toujours profond, en spirale. Et bien sûr, pour un écrivain, le souvenir, la mémoire ont à voir avec les carnets, et Kathleen Jamie leur consacre de très belles pages.

Bref, un ouvrage original qui m’a beaucoup séduite tant par sa forme libre que par son contenu très intéressant !

Strates
Kathleen JAMIE
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Ghislain Barreau
La Baconnière, 2020

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