A l’abri des regards, dans sa chambre, elle observait sa silhouette presque maigre, ses fesses un peu plus rondes et les deux étrangères qui avaient pris possession de son buste. Les deux formes femelles la dérangeaient, elle aurait aimé les expulser complètement de son corps, terre d’asile malgré lui ; c’était une identité nouvelle, double, une assimilation à faire dans son être qu’elle sentait encore si proche de l’enfance. Elle avait l’impression que les regards des autres ne fixeraient plus que cela ; tous ses efforts tendaient à paraître impassible, inchangée, surtout ne pas fuir, ne pas courir, laisser les seins sans mouvement, qu’ils ne se fassent pas remarquer, qu’ils se cachent, comme les gens que l’on tolère, mais qui ne devraient pas être là, comme des gens qui se terrent parce qu’ils sont en danger. Se faire tout petits, pour peut-être un jour être acceptés. Ses formes inquiètent Delphine.
Un roman qui traite un sujet malheureusement d’actualité : le viol.
Delphine grandit avec sa mère dans une cité-dortoir près d’Arles!; Elle aime les jolies choses, mais a l’impression qu’elles sont réservées aux autres. Sa mère, triste, n’est plus touchée par rien, a oublier ce que c’était que de rire et de jouir depuis que le père de Delphine l’a abandonnée en découvrant qu’elle était enceinte. Delphine grandit, devient adolescente, son corps change, elle devient une femme, mais alors que ce changement devrait se faire dans la douceur, il se fait dans la violence, celle d’un homme qui la viole…
Un roman très sensible sur un sujet extrêmement difficile : Comment on devient une femme lorsqu’on a été violée à 12 ans ? Comment on apprend la féminité lorsque celle-ci a été outragée à peine éclose ? Comment on apprend une sexualité qui ne soit ni violence ni domination ? Comment on se réapproprie son corps ? Comment on apprend la confiance et l’amour ?
Un roman qui parle de résilience et de renaissance. Très beau et délicat, il m’a beaucoup touchée !
Pas sur la bouche
Karine LANGLOIS
La Rémanence, 2019