Je ne connais personne, dans mon entourage, qui achète des sculptures ou des tableaux. Cependant, je constate que beaucoup de gens dépensent quelques milliers d’euros tous les étés pour se déplacer vers de beaux paysages. C’est cher, malcommode ; le voyage est souvent fastidieux et l’émerveillement pas garanti. Sans compter qu’on reste propriétaire du tableau, tandis que la satisfaction de se trouver en Islande ou dans les Andes ne fait que passer. Pourquoi estime-t-on que ça en vaut la peine ?
Un coucher de soleil, les cimes enneigées, un lac sur lequel se reflète la Lune, les vagues qui lèchent une plage, une forêt… Nous sommes tous fascinés (et moi de plus en plus) par le spectacle de la nature : qu’est-ce qui, dans sa contemplation, fait naître en nous toutes ces émotions riches et variées ?
C’est à cette question qu’entend répondre Alexandre Lacroix, à travers un voyage philosophique. Après s’être penché dans la première partie sur les trois grands paradigmes de l’esthétique environnementale (la psychologie évolutionniste, la culture et le mystère), aucun n’offrant à lui seul une explication exhaustive de ce que nous admirons dans la Nature mais chacun offrant des pistes fécondes et complémentaires, il s’intéresse dans la deuxième partie à la sensualité du monde naturel : comment il s’offre à nous par le biais de nos cinq sens, non pas séparés mais simultanés, dans une expérience synesthésique. Enfin, dans la troisième partie, il interroge le temps et comment il joue sur notre appréhension des paysages.
Passionnant, foisonnant, cet essai, contrairement à ce qu’on pourrait craindre, ne dépoétise pas notre rapport à la nature en mettant entre elle et nous des concepts théoriques, mais au contraire l’enrichit : si depuis Hegel la beauté l’art a été la seule admise, Alexandre Lacroix, en nous nourrissant de littérature, de philosophie mais aussi de son expérience personnelle, nous apprend à regarder, à chercher, à poser des mots sur ce qui nous émeut de manière instinctive : pourquoi tel lieu plutôt que tel autre parle à notre âme ? C’est un questionnement, un cheminement : dialogique, l’essai développe diverses théories et opinions, à chacun de se laisser convaincre, ou non, de picorer, de construire ses propres réponses (j’ai notamment eu, pour ma part, une révélation concernant ma fascination pour les instruments de mesure du temps).
Un voyage intellectuel et sensuel, parfois un peu ardu malgré le ton primesautier de l’auteur (mais même si un passage nous perd un peu, on se retrouve), mais surtout lumineux et enrichissant ! Un coup de coeur !
Devant la beauté de la nature
Alexandre LACROIX
Allary, 2018
Lu par Leiloona
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