Abîmés par la vie

Abîmés par la vie

Cela faisait longtemps que je cherchais une chaise pour mettre dans ma chambre, sans parvenir à trouver exactement ce que je cherchais (il faut dire aussi que vu que je ne savais pas exactement ce que je cherchais, ça compliquait les choses). Et puis, il s’est passé ce qui se passe toujours : je suis allée chercher un colis au dépôt-vente d’à côté (un pschitt-pschitt d’huiles essentielles pour faire fuir les rongeurs qui bouffent les fils de ma voiture dans mon garage), et en attendant que le monsieur soit disponible pour me le donner, j’ai fait un tour. Et là, dans un coin sombre, je l’ai vue, qui m’attendait : une jolie chaise en bois sombre et en velours rouge. Je ne connaîtrai jamais son histoire ni sa provenance, je n’y connais rien en histoire du mobilier, mais j’ai un ami expert qui m’a donné quelques pistes. Exactement comme je voulais sans le savoir. Le vendeur était embêté, parce que le dossier est cassé : je lui ai répondu que ce n’était pas gênant, vu que ce n’était pas pour s’asseoir. Et en y réfléchissant plus avant, j’ai même compris que je la préférais comme ça, avec son imperfection, signe qu’elle a une histoire, un peu comme une cicatrice.

De fait, j’ai toujours aimé les vieux objets, ceux qui ont un vécu, un passé, que je ne connais pas toujours. Et c’est de plus en plus le cas. Cela n’a rien d’une idéologie, je ne théorise pas, et je continue (et continuerai) d’acheter des choses neuves même si je fais de plus en plus de récup. Mais j’aime les objets marqués. Mon buffet, ce n’était pas le plus joli chez mon arrière-grand-mère, mais c’est celui-là que je voulais, parce que c’était le plus vieux, le plus sobre, en fait celui que personne n’adoptait parce qu’il était un peu abîmé, cassé par endroits : j’ai fait refaire des ferronneries, et je l’aime absolument, je ne m’en séparerai jamais (même s’il est une horreur à déménager). Ma table ronde, je l’ai cherchée longtemps avant de la trouver. Et ma vieille machine à écrire, bien sûr…

Evidemment, il y a toute une partie « livres anciens » dans ma bibliothèque. Et nombre de secondes mains. J’aime qu’ils portent la trace de leurs anciennes lectures.

J’aime récupérer les choses dont personne ne veut, comme le vieil album photos qui peut-être, un jour, donnera un roman…

Un jour, si j’achète une maison, ça ne sera pas une maison neuve. Je veux une vieille bâtisse, quitte à ce qu’elle soit un peu en ruines. Mais une maison qui a un passé…

C’est un peu pareil avec les vêtements. J’en ai une quantité assez impressionnante : un jour, un homme m’a dit, regardant d’un air inquiet ma penderie, « un jour, ça va s’écrouler » — prophétie qui s’est réalisée quelques mois plus tard. Mais en fait, je n’en achète pas tant que ça, et même de moins en moins (sauf les robes en été). Mais j’achète des choses qui me plaisent vraiment, parfois cher, et que je garde une éternité. Il y a des vêtements dans ma garde-robe qui ont dix, voire quinze ans, et dont je n’arrive pas à me séparer (pour peu que je loge encore dedans) parce que j’ai vécu des événements en les portant, et que j’y tiens, à cette mémoire. Par exemple mon sac, celui qui est sur la chaise : c’est un 24h saint-Germain de Gérard Darel, que je me suis offert pour me consoler d’une rupture (celle avec l’homme qui avait prophétisé la chute de la penderie), cela fait plus de dix ans. Je dis ça pour situer parce que le sac n’éveille aucune nostalgie par rapport à ça. Comme je le quitte très peu (j’en ai d’autres mais je reviens toujours à celui-là), que je n’en prends pas un soin excessif (pour moi les objets, vêtements et accessoires sont faits pour vivre, sinon on les met dans un musée), il est abîmé, râpé, fatigué, usé, patiné. C’est comme ça que je l’aime.

C’est pareil avec les êtres. C’est pareil avec les hommes. Je n’aime pas ceux qui sont lisses. Je m’attache à ceux qui sont éclopés, boiteux, qui ont du mal à avancer droit. Un peu abîmés par la vie, comme moi…

13 commentaires

  1. J’adore les « vieux » livres pour ça. Leur histoire, les annotations des lecteurs qui m’ont précédée, leurs petites pages écornées ou déchirées… Bonne journée

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  2. l'or rouge dit :

    Superbes tes mots sur les objets qui ont du vécu, ça me parle tout à fait, il y a là une vraie valeur et de la poésie. Des objets qui ont une âme. Et ton sac est magnifique, il serait tout a fait a mon gout ❤

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  3. Mind The Gap dit :

    Tu devrais adopter un vieux… 😀 😀
    Mais oui, elle est belle ta chaise, elle a de la gueule comme on dit !
    Et puis on peu très bien marier le neuf et l’ancien, Après, pour les maisons anciennes, faut arriver à les entretenir !!

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  4. Miss Zen dit :

    J’adore ton billet et comme toi j’aime les vieilles choses, maisons, etc.… Et oui je préfère les hommes plus âgés mais optimistes, énergiques; Je les appelle « les poneys sauvages »

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  5. Catherine dit :

    Tres jolie chaise! Et je suis tout a fait d’accord sur les cicatrices des meubles, pourquoi vouloir les effacer? Comme ton buffet que tu nous presentait dans un precedent article. Ils sont beaux comme ils sont.

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