La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences : le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre […] Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier
J’ai bien évidemment un rapport particulier avec Jean Anouilh, par le biais de sa maison au Cap-Ferret qui m’a toujours fascinée bien avant de savoir que c’était la sienne ; j’aime me dire que peut-être, un jour, je l’ai croisé au détour d’une rue. Et puis il y a cette pièce, dont je ne sais pas trop si je dois en accuser mon coquin d’inconscient ou la synchronicité, mais enfin, cette pièce que je me trouve à relire et à étudier à chaque étape importante de ma vie, et dans laquelle à chaque fois je trouve des choses nouvelles, et des choses qui m’en apprennent sur moi — je pense, aussi, qu’elle a eu un rôle non négligeable quant à la construction de ma vision du monde, lorsque je l’ai lue pour la première fois, à 16 ans. En tout cas, cette année, j’avais décidé de l’étudier, bien avant de savoir (en tout cas consciemment, mais mon inconscient le savait peut-être, lui) que j’en aurais besoin.
L’histoire, on la connaît, sinon on peut regarder l’épisode des Grands Mythes qui lui est consacrée : Eteocle et Polynice, les fils d’Oedipe, se sont entretués pour le trône de Thèbes, et Créon, le frère de Jocaste, qui du coup est devenu roi, a décidé de faire des funérailles nationales au premier, et de laisser pourrir le corps de l’autre. Toute personne qui passerait outre cet ordre et effectuant pour Polynice les rites funéraires serait punie de mort. Mais voilà, c’est Antigone, la fille d’Oedipe, qui transgresse l’interdit, et Créon est bien ennuyé.
Alors, je vais passer très vite sur le contexte de création de la pièce, 1944, qui fait que l’on a un peu trop tendance à voir en Antigone, celle qui dit non, une figure de la Résistance (et c’est d’ailleurs pour ça que je ne suis pas particulièrement adepte de la mise en scène de Nicolas Briançon) : si ce n’est pas une surinterprétation, je pense que ce n’est absolument pas l’essentiel. La pièce est beaucoup plus métaphysique et du coup universelle et atemporelle que cela, et le personnage de Créon, qui n’est ici pas un tyran contrairement au personnage de Sophocle ou celui de Bauchau, rend cette interprétation un peu compliquée à tenir jusqu’au bout. Ici, il est question de ce que c’est que la vie, de ce que c’est que le bonheur, et des compromis que nous devons faire. Antigone, c’est cette jeunesse implacable, cette idéaliste qui veut tout tout de suite, qui veut l’absolu, et refuse ces compromis qui ne sont pour elle que des compromissions ; pour elle, la vie ne vaut d’être vécue que si elle est pleine et entière, et comme elle sait que c’est impossible, elle choisit la tragédie, là où il n’y a plus d’espoir, cet espoir d’être heureux malgré tout mais qui nous fait mal ; on est plus tranquille quand on n’espère pas, et qu’on a l’assurance que tout va mal se terminer. Créon, c’est la sagesse de l’âge, qui a appris que l’absolu est inatteignable, qui a fait des concessions et a accepté que le bonheur, peut-être pas le bonheur extatique mais le bonheur des petites choses, ce n’était pas mal non plus.
Dit comme ça, c’est peut-être encore trop simple d’ailleurs. Est-ce seulement une question d’âge ? Certes, Antigone, la toute jeune Antigone, a quelque chose de ces adolescents qui se suicident parce qu’ils pensent que la vie ne peut pas leur apporter ce qu’ils cherchent. Certes, en vieillissant, on se rapproche de Créon. Tu l’apprendras toi aussi, trop tard, la vie, c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison […] la vie, ce n’est peut-être tout de même que le bonheur. Mais Créon, il a aussi en lui cette soif d’absolu, et de grandiose, quitte à ce que ce soit tragique.
Nous avons tous, en nous, quelque chose d’Antigone. Et cette pièce est indispensable, parce qu’elle nous pousse à nous interroger sur notre conception du monde, de la vie, du bonheur !
Antigone
Jean ANOUILH
La Table Ronde, 1946
Un texte essentiel que je relis souvent aussi
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😉
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Une de mes lecture de collège ! Ça fait longtemps !
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et bien relis-le, tu le verras différemment !
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s
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Un livre culte pour moi , je le relis souvent et j’en redécouvre la beauté à chaque fois ..
Ne perdons jamais la part d’Antigone en nous …
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non
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Il ne faut pas oublier qu’Antigone porte le fardeau paternel.On ne peut comprendre Antigone si l’on ne se penche pas sur sa généalogie.
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Ah oui, tout à fait !
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Je pense comme vous. Et mon exemplaire est identique au vôtre….
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J’aime beaucoup l’analyse que tu fais cette pièce, analyse que je partage. Je fais régulièrement l’expérience de la relire, et de voir comment, moi aussi, vieillissant, mes opinions sur les différents personnages changent.
En revanche, mon avis sur le style incomparable d’Anouilh, lui reste le même : quelle plume ! Quelle émotion chargée par chacun des monologues… et qu’Antigone sait me faire pleurer…
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Ah oui, ça c’est sûr !
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J’adore ce texte ! Tiens, je le relirais bien !
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😉
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Intemporel : je l’étudie chaque année en cours.
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Oh mais ce titre… C’est un des livres qui m’a fait pousser la porte de la Littérature…
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Je n’ai jamais lu cette version, bizarrement. Je suis toujours restée sur celle de Sophocle…
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c’est très différent, forcément !
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