Le désir de Paris était de ceux dont l’expression, sans justification aucune, pouvait sonner comme une fringale de mondanités à peu de frais, surtout lorsqu’un « Ah » les ponctuait : Ah, si seulement je pouvais aller une fois à Paris, advienne ensuite que pourra ! Assorti du mot « rêve », ce désir, chez certain, suscitait l’impression que Paris non seulement ne gagnait rien à cette nostalgie universelle, mais, au contraire, s’en trouvait subir une sorte de dissolution, de perte de substance, à la manière de celles induites par un usage trop fréquent.
Cela faisait un temps fou que je n’avais pas lu Ismail Kadaré. Sans raison particulière, d’ailleurs. Ce recueil de récits et chroniques était donc l’occasion idéale de renouer avec son écriture et son univers.
Le fil rouge de ce recueil (parfois ténu) est le café, en tant que lieu et non en tant que boisson, un peu comme l’avait fait Patti Smith. Ce qui donne à Kadaré l’occasion d’aborder des thèmes comme l’Albanie et son histoire, le régime communiste et son absurdité, et la vie d’écrivain.
Foisonnant et passionnant, l’ensemble s’ouvre sur un texte essentiel dans lequel Paris, plus qu’une fête, incarne un rêve, un désir, voire un mythe : celui de la liberté, un lieu où les gens peuvent se rencontrer au café, y écrire, y discuter sans peur — contrairement à l’Albanie : le tableau qui nous est fait de l’ère communiste a de quoi effrayer, même si on l’a déjà lu chez Kundera, dans les entretiens de Roth ou encore dans le dernier roman d’Antoine Choplin. Différents pays, même réalité. Ici, Kadaré, qui se désigne souvent en tant qu’un K. très kafkaïen, est au coeur du système, d’abord comme jeune écrivain qui a les faveurs des autorités et est choisi pour étudier à l’institut Gorki le réalisme socialiste qui doit lutter contre la subversion décadente des littératures occidentales, puis comme écrivain face au système et à la censure. L’absurde règne, mâtiné parfois de fantastique et d’onirisme, de littérature prédictive et de coq à l’âne. Tirana, Paris, deux mondes.
Le premier est le coeur de l’Albanie, et Kadaré revient souvent sur l’histoire particulière de ce petit pays, pas seulement sa période communiste mais aussi son histoire plus ancienne et l’occupation ottomane, qui a laissé des traces : les femmes, l’amour, l’âme albanaise, l’identité européenne. En regard, Paris, qui semble incarner une essence, celle de la littérature, et la géographie parisienne est hantée par les écrivains, les éditeurs, et chemin faisant on croise de grandes figures du monde des lettres, des réflexions sur les écrivains et l’écriture. Modiano se promenant dans les jardins du Luxembourg.
Une petite pépite donc, dont il est difficile de parler de manière ordonnée tant la réflexion se déploie en rhizome, une réflexion appelant l’autre, chaque texte ayant sa propre logique. Mais à lire, bien sûr : c’est totalement fascinant !
Matinées au café Rostand
Ismail KADARÉ
Traduit de l’albanais par Artan Kotro et Tedi Papavrami
Fayard, 2017
Je note ce titre. Toujours très intéressée par les réflexions sur l’Europe centrale, méridionale, et orientale. Ma LAL s’allonge… Je n’aurai pas assez d’une vie pour tout lire!
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A qui le dis-tu ^^
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Kadaré ! J’ai adoré certains de ses romans ! Je ne l’ai pas lu depuis… oh la la une vingtaine d’années je crois !
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pareil environ !
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