Bientôt, les elfes et les fées peuplèrent la nuit par dizaines, ceux des premiers rangs à peine plus hauts qu’un dé à coudre. A la suite des derniers, grands comme des réverbères, huit autres fermaient la marche. De taille moyenne, ils portaient le palanquin sur lequel leur souveraine était allongée, calée contre de rêches coussins de toile noire, des oiseaux noirs voletant dans ses cheveux et deux chats noirs assoupis sur ses genoux, tout à fait indifférents à ce qui les entourait. Elle bâillait lorsque son palanquin franchit la porte avant de décrire une demi-boucle derrière le reste de la procession pour s’arrêter sur le plateau au sommet de la colline. Là, les porteurs la déposèrent sur l’épais tapis d’herbe et, faisant cercle autour d’elle, se mirent à danser. Chaque geste avait été pensé pour le plaisir de la reine, même si elle ne s’intéressait plus à la chorégraphie depuis des années et avait cessé, quelques mois plus tôt, de prêter une réelle attention à ceux qui l’exécutaient pour elle.
J’éprouve une grande tendresse pour Le Songe d’une nuit d’été, pièce totalement baroque et folle dans laquelle Shakespeare montre tout son génie, et se révèle capable d’avoir l’intuition de ce que Freud ne découvrira que des siècles plus tard : le rêve, l’inconscient. Dans ce roman Chris Adrian transpose les problématiques et les personnages principaux dans le San Francisco d’aujourd’hui…
C’est la première nuit de l’été, et trois âmes malheureuses, qui ne se connaissent pas, se perdent dans le Buena Vista Park en se rendant à la même soirée : Will, Henry et Molly ont tous les trois perdu la personnes qu’ils aimaient, et ne s’en remettent pas — ils ont également autre chose en commun, mais ne le savent pas encore. Dans le parc, c’est le moment où le petit peuple des elfes et des fées sort de dessous la colline pour célébrer la plus belle nuit de l’année. Mais pour eux non plus, le coeur n’est pas à la fête : Titania est d’une tristesse insondable depuis la mort de son fils et la disparition d’Obéron. Pour le retrouver, elle est prête à tout, même à mettre en péril l’ordre du monde.
Un roman absolument époustouflant et d’une richesse incroyable. Tour à tour burlesque, poétique, tragique, lyrique, somme toute très baroque, il reprend les grandes problématiques shakespeariennes, en mettant en évidence l’universalité et l’actualité : le rêve, l’illusion, la nuit, le théâtre. L’amour, qui est la plus grande des magies mais aussi la plus grande des souffrances : la tristesse et le chagrin rendent vulnérables même les plus puissants. La magie de l’enfance à laquelle il faut renoncer pour pouvoir vivre dans le monde — même si certains n’y parviennent jamais. Très charnel, ce roman polysémique fait donc s’affronter toutes les forces qui traversent le monde : eros et thanatos, ordre et chaos, apollinien et dionysiaque, masculin et féminin. Rien ici n’est jamais noir ou blanc, les personnages sont tour à tour monstrueux et sublimes, haïssables et émouvants, telle Titania, qui n’a plus grand chose de la grande déesse mirionyme lorsqu’elle comprend enfin combien les humains souffrent…
Un roman sublime, très bel hommage à Shakespeare, à lire absolument !
Une nuit d’été
Chris ADRIAN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru
Albin Michel, 2016
Avec une telle chronique, comment passer à côté maintenant.
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On ne peut pas, et c’est bien le but !
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Il m’est tombé des mains pourtant j’adore la pièce… Il faudra que je réessaie peut être 🙂
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Ah oui ? Tiens, c’est bizarre !
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J’ai beaucoup aimé ce roman. Il est très déconcertant
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Très déconcertant, oui, mais quel bonheur !
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Elle est joliment bien réussie cette composition ; magique et porte-bonheur à la fois 🙂
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.-)
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.-)
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Bravo pour ta chronique et ta mise en situation, cela donne envie.
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J’espère bien 😉 Merci
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tu me mets l’eau à la bouche! Quelle jolie photo:)
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Merci !
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Oh, ça a l’air chouette 🙂
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ça l’est !
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je retiens donc « époustouflant » et « absolument », même si ce roman semble être en dehors de ma zone de confort !
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Il est gros !
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Oh! Il me fait de l’œil depuis quelques temps déjà, et là je crois que je vais me laisser tenter… Ta chronique est très encourageante!
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Mais oui !
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