C’est que l’écriture érotique, hier maudite, aujourd’hui dévitalisée, change de statut en quittant le second rayon. Reconnue, plébiscitée, elle se voit vidée de sa force transgressive. Elle doit apprendre à exister par elle-même sans tirer de son interdiction ou de sa charge subversive, désormais improbable, sa raison d’être. Le sexe n’est plus ce grand « impensé radical », ce territoire secret que chacun découvre dans le silence de la nuit en luttant contre les puissants effets de la honte et l’épouvantable poids des névroses. Dans le mouvement de l’explosion hédoniste et des mots d’ordre au « jouir sans entraves », il devient un élément essentiel de l’épanouissement de l’être. Hier attaqué, sali, moqué, il est aujourd’hui cool, sympa, branché. Cette révolution oblige toute la littérature galante à se reconstruire.
Cela faisait longtemps que cet essai était dans ma ligne de mire, et j’ai finalement franchi le pas tant le sujet évidemment m’intéresse, tant du point de vue de la lecture que de celui de l’écriture.
L’auteur part d’un constat : celui de l’hypersexualisation de notre quotidien qui s’accompagne, par un effet de balance, par une désérotisation du monde, voire tout simplement de la mort de l’érotisme sous sa forme littéraire.
Comme si la fin des interdits qui pesaient sur le sexe, en lui ôtant son caractère sulfureux, lui ôtait aussi sa magie. De fait, on assiste à une mutation profonde de ce côté-là, puisque la littérature générale s’empare du sujet, devient elle-même de plus en plus crue, et qu’on ne sait plus bien où placer le curseur entre la littérature érotico-pornographique et l’autre : a priori incompatibles, puisque la littérature vise l’émotion esthétique quand l’écriture de la chair vise l’excitation sensuelle, peuvent-elles se rejoindre ?
Ce sont ces liens, et ces désordres, que cet essai vise à analyser.
Le constat n’est guère positif : « la chair est triste, hélas ». Oui, c’est bien cette impression qui ressort des analyses assez poussées menées par l’auteur, spécialiste de l’édition contemporaine.
On ne peut que le suivre dans ses constats, appuyés sur un corpus assez varié qui montre la frontière de plus en plus floue entre ce que publient les éditeurs spécialisés et les éditeurs généralistes (qui s’engouffrent avec plaisir dans la brèche ouverte par la libération des mœurs), même si cela oriente la réception : une écriture essentiellement féminine et tissée d’ambiguïtés, une surenchère dans le trash, un grand cynisme quant à la libération sexuelle et les relations entre les sexes, le primat donné à la confession.
Olivier Bessard-Banquy ne mâche pas ses mots avec certains auteurs, égratignés sévèrement, avec beaucoup d’humour parfois, mais sévèrement tout de même.
Doit-on pour autant désespérer ? Non. Cet essai résolument passionnant analyse une période de mutation, de bouleversements qui sèment le trouble dans le champ littéraire.
Le corpus analysé est très contemporain, mais l’objet est mouvant et il me semble que depuis 2010 (date de parution) les choses ont encore évolué notamment avec l’avènement du numérique, qui ouvre davantage le champ des possibles, et notamment celui d’un érotisme joyeux et léger, bien écrit, loin de la surenchère dans le trash et la violence et du cynisme désabusé concernant les relations charnelles.
Il serait donc intéressant que l’auteur réactualise ses réflexions à la lumière de ce qui se publie aujourd’hui, et notamment du « phénomène » Fifty Shades of Grey et plus généralement du mummy porn, de la clit litt ect. (dont il dirait sans aucun doute beaucoup de mal).
A lire, néanmoins !
Sexe et littérature aujourd’hui (lien affilié)
Olivier BESSARD-BANQUY
La Musardine, 2010
Bon jour,
Je me demande si l’auteur de cet ouvrage fait seulement référence au monde « judo-chrétien ». Mais bon, est-ce une bonne question ? 🙂
Max-Louis
J’aimeJ’aime
Très légèrement, lorsqu’il aborde certains éditeurs comme Seuil traditionnellement chrétiens qui s’engouffrent dans le trash, mais la question dépasse le cadre de la littérature et ce n’est pas son sujet. Mais ce serait intéressant !
J’aimeJ’aime
Les choses avancent aussi car la notion de plaisir féminin semble enfin devenir un véritable sujet d’intérêt.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, aussi !
J’aimeAimé par 1 personne
Très intéressant !
J’aimeJ’aime
oui !
J’aimeAimé par 1 personne
Intéressant comme sujet…
J’aimeJ’aime
Oui, très !
J’aimeJ’aime
J’ai vu récemment une interview de Francoise Rey où elle disait la même chose. J’avoue être d’accord en partie (certes, quand on lit Sade ou Apollinaire, c’est soft, actuellement) et pas d’accord en partie également. Comme le soulève Stéphie, le plaisir féminin est plus mis en avant, les fantasmes féminins également, il y a de nouveaux éléments qui ont pris une place plus grande : l’homosexualité, les rapports amoureux associés… Et il a encore aujourd’hui des écrits très nettement subversifs !
J’aimeJ’aime
En tout cas, c’est un essai qui pose beaucoup de questions !
J’aimeJ’aime
Aucun doute que la production la plus actuelle ne le ferait pas changer d’avis !
J’aimeJ’aime
A voir car il me semble que ce désenchantement est moins évident…
J’aimeJ’aime
Aaah ! Voilà un essai dont je note le titre avec plaisir. Je suis très curieuse sur le sujet 🙂
J’aimeJ’aime
C’est très intéressant !
J’aimeJ’aime
Pourquoi pas, lecture intéressante j’en suis persuadée !
J’aimeJ’aime
Oh oui, et ça change de réfléchir sur le sujet !
J’aimeJ’aime
Un titre intéressant en effet! Je note!
J’aimeJ’aime
Très intéressant !
J’aimeJ’aime
Je ne lis pas de littérature érotique mais je lis pas mal de littérature généraliste et je n’y trouve pas beaucoup de sexe ou d’érotisme. De la sensualité oui et heureusement, mais pas guère plus !
J’aimeJ’aime
Je pense que justement, c’est en train de se tasser !
J’aimeJ’aime