Et ton absence se fera chair, de Siham Bouhlal

Je ne te voulais d’autre linceul que mon corps, te couvrir de roses, d’aloès, de myrrhe, de musc et de santal, te tailler une demeure en mon cœur, t’offrir des mots souterrains venus d’une opacité qui brillerait à ton contact, pénétrer le mystère et le noir de la mort avec toi, et accompagner encore ta main dans ses gestes les plus délicats, les plus majestueux. Aller toujours vers le dévêtement de mon être qui s’offre à toi. Être pénétrée par ta mort comme une agression délicieuse. Jeter mes yeux dans ce trou qui accueillait ta dépouille et ne plus avoir de regard. Devenir une pensée, et me multiplier dans ce nouveau lieu qui voulait te contenir, qui croyait te contenir. Je ne te voulais d’autre linceul que ce corps rompu d’amour pour toi.

Il y a des textes qui doivent parfois attendre un certain temps que l’on soit prêt à les recevoir. C’est le cas de celui-ci, qui patientait depuis sa parution en septembre, et qui me faisait un peu peur. Oui, il m’intimidait parce que, confusément, je savais que je n’en ressortirais pas indemne et qu’il me toucherait au plus profond de mon âme. Alors j’ai attendu que le moment soit venu. Il vient toujours…

En 2007, l’homme politique marocain Driss Benzékri meurt d’un cancer. Avec ce texte, sa compagne, Siham Bouhlal, poétesse, lui crie son amour par-delà la mort.

Texte habité, hanté par le chagrin et l’impossible deuil, au point d’en être par moments douloureux, Et ton absence se fera chair est en même temps traversé d’une étrange lumière à la fois sombre et sublime : chant d’amour sacré d’un érotisme pur voire mystique, imprégné de soufisme, il mêle trois temporalités, celle de la rencontre et de l’amour, celle de la maladie et de l’après, qui ne peuvent se détacher et montrent l’immortalité du sentiment amoureux, rendue possible par la poésie.

La langue pure de Sihem Bouhlal, aux accents de poésie arabe ancienne, de Mille et une nuits et de Cantique des cantiques, permet l’impossible dialogue des amants que seule la mort pouvait séparer — ce qu’elle a fait, à moins qu’elle n’ait permis leur fusion.

Un texte fort, sombre et lumineux à la fois, dans lequel s’affrontent encore une fois Éros et Thanatos. Éminemment personnel et intime, il parvient pourtant, grâce à la poésie qui s’en dégage, à atteindre l’universel : celui du sentiment amoureux.

Bouleversant !

Et ton absence se fera chair (lien affilié)
Siham BOUHLAL
Yovana, 2015

6 commentaires

  1. Pr. Platypus dit :

    Beau titre pour un sujet qui a de quoi intimider en effet… Je n’en avais pas du tout entendu parler, et c’est le genre de lectures qui me rebute habituellement – par peur de trop d’impudeur – mais tu lui rends bien justice et ce bel extrait me donne envie.

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    1. C’est à la fois impudique, forcément, et universel, je trouve…

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  2. Déjà le titre ne laisse pas indifférent. Je le lirai un jour sûrement quand j’aurai plus de temps… Ou alors, non, je prendrai le temps de lire parce que si on attend que la vie nous donne plus de temps, on ne fait rien!

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  3. lorouge dit :

    Un très beau titre déjà mais effectivement le genre de lecture qui peut effrayer et ça me freine un peu (je ne connaissais pas du tout par contre).

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    1. C’est sûr que le titre est superbe !

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