La pipe d’Oppen, de Paul Auster

Tant de choses étranges me sont arrivées au cours de ma vie, tant d’événements inattendus et improbables, que je ne suis plus certain de savoir ce qu’est la réalité. Tout ce que je peux faire, c’est parler des mécanismes de la réalité, rassembler les preuves de ce qui se produit dans le monde et essayer de les consigner aussi fidèlement que possible. J’ai recouru à cette approche dans mes romans. Ce n’est pas tant une méthode qu’un acte de foi : présenter les choses comme elles se sont vraiment déroulées, pas comme elles sont censées se dérouler ou comme nous aimerions qu’elles se déroulent. Les romans sont des fictions bien entendu et de fait ils racontent des mensonges (au sens le plus strict du terme), mais à travers ces mensonges, chaque romancier tente de révéler la réalité du monde.

Un nouveau livre de Paul Auster ? Vous imaginez bien que le culte que je voue à cet écrivain m’a poussée (pas vraiment à mon corps défendant) à, pour ainsi dire, me précipiter dessus et à m’y plonger toutes affaires cessantes. On ne se refait pas.

Dans ce recueil de quatorze textes, essais, discours, préfaces et entretiens, Paul Auster dévoile son rapport à la littérature. Il rend hommage aux créateurs qui appartiennent à son panthéon personnel, l’ont façonné en tant que lecteur et écrivain, et furent parfois ses amis.

On croise ainsi, au fil des pages, bien sûr, des écrivains américains comme Hawthorne, Poe ou Oppen (le texte liminaire, qui lui est consacré, donne son titre au recueil), mais aussi nombre d’auteurs français : Perec, Robbe-Grillet, Jacques Dupin ou André du Bouchet. Auster parle aussi de sa propre pratique de l’écriture, aussi bien sur le plan matériel que sur celui de sa conception du roman.

C’est, évidemment, une lecture passionnante et stimulante parce que le rapport de Paul Auster à la littérature et aux écrivains qu’il admire est toujours éminemment intime et personnel : d’Hawthorne par exemple, il retient, plus que son chef-d’œuvre The Scarlett Letter, un extrait de son journal où il raconte plusieurs jours passés seuls avec son petit garçon.

Surtout, l’amitié a une place centrale dans sa vie, et c’est à travers ce point de vue qu’il nous parle d’Oppen, de Jacques Dupin ou d’André du Bouchet.

De manière plus générale, le recueil est riche en rencontres, et des belles : Quignard, Robbe-Grillet avec qui il a en commun d’être un romancier passionné par le cinéma et ayant tenté la réalisation, jusqu’à Beckett lui-même ; avec ceux-là, cela ne va pas jusqu’à l’amitié et l’intimité, mais il y a, néanmoins, la beauté de la rencontre.

Et puis, surtout, il y a ces pages lumineuses où Auster parle de son rapport personnel à la littérature et son travail d’écrivain : plus seulement, donc, les écrivains qui l’ont construit depuis son adolescence et auxquels il n’a pas toujours consacré un texte particulier, mais aussi, et surtout, sa définition de la fiction, de l’écriture, et sa manière de travailler : sur des cahiers quadrillés à petits carreaux, au stylo ou au crayon ; l’importance des petits carnets, qu’il considère comme une maison pour les mots ; le souci du processus de l’écriture et non seulement du résultat…

Passionnant donc, lumineux, ce recueil est un véritable régal intellectuel ; Auster y fait une déclaration d’amour à la littérature, et à la France, et c’est beau !

(Je souhaiterais, néanmoins, que Paul Auster sorte bientôt un nouveau roman, parce que ça commence à faire longtemps !)

La Pipe d’Oppen – Essais, discours, préfaces
Paul AUSTER
Traduits de l’américain par Céline Curiol, Christine Le Boeuf, Emmelene Landon et David Boratav
Actes Sud, 2016

17 commentaires

  1. Sandrine dit :

    Passionnant en effet, même si je ne suis pas aussi fan d’Auster que ça… je suis bien loin d’avoir tout lu, ce qu’il faudrait réparer, petit à petit…

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    1. Je n’ai pas encore tout à fait tout lu, je savoure…

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  2. Laure Micmelo dit :

    J’adore les lives qui traitent de la littérature, quand l’auteur parle de son travail, ça semble passionnant. Noté !

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    1. Oui, j’aime énormément aussi !

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  3. keisha41 dit :

    What? m’exclamai-je en apercevant ton billet. Un nouveau Paul Auster? Ouiiiiiiiiii!

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    1. Malheureusement ce n’est pas encore le roman qu’on attend, mais c’est chouette !

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  4. kathel2 dit :

    Je préférerais un nouveau roman, moi aussi, je crains que celui-ci soit trop littéraire… (enfin, je me comprends)

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    1. Non, c’est beaucoup moins analytique que ce que fait sa femme, plus grand public !

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  5. jostein59 dit :

    Moi aussi, j’aimerais bien un nouveau roman.

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    1. On est nombreux dans ce cas-là !

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  6. Violette dit :

    tu es fan, toi ! 🙂 Je n’en ai pas lu assez pour l’être mais ça ne saurait tarder!

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  7. Mokamilla dit :

    Je t’ai déjà fait part de mon incapacité à lire Auster plus de 30 pages?

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  8. elea1688 dit :

    Suite à certains de tes articles, je me suis lancée dans les romans de Paul Auster depuis décembre passé, et j’adore.
    Je viens de lire : le carnet rouge où il raconte comment il note des idées pour ses romans, dans des faits divers qui lui arrive à lui ou à ses proches. C’est vraiment très intéressant ainsi que sa façon de parler du destin.

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    1. Je ne l’ai pas lu celui-là, mais il est en bonne place sur ma liste, forcément. En tout cas je suis contente de t’avoir fait découvrir un auteur qui m’enchante à chaque fois !

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      1. elea1688 dit :

        J’appréhendais de le lire, car on le dit compliqué .. et au final une belle découverte.

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