Conversations d’un enfant du siècle, de Frédéric Beigbeder

Ecrire, c’est parler en silence, et réciproquement : parler, c’est écrire à haute voix. Quand deux écrivains conversent, c’est comme le frottement de deux silex : le feu n’est pas garanti mais il y aura forcément quelques étincelles. Même quand elles se donnent l’apparence d’un badinage, il me semble que toutes ces entrevues, au moment propice, laissent échapper un semblant de quelque chose, une idée saugrenue, une anecdote méconnue, une citation bizarre, voire le numéro de téléphone de Jean-Paul Sartre.

Dans le placard de ma chambre, chez mes parents, est accroché depuis des années un article (un édito) de Frédéric Beigbeder découpé dans je-ne-sais-plus-quel journal, et dont le ton m’avait frappée, sur un sujet qui me tient à cœur mais que je ne mentionnerai pas car je n’ai pas envie d’ouvrir une polémique inutile et totalement à côté du sujet.

Bref. J’ai conservé cet article, alors que si j’ai beaucoup lu Beigbeder écrivain, je l’ai malheureusement peu lu comme journaliste et chroniqueur, attendu qu’il officie dans des revues et magazines que je ne lis pas. L’occasion de me rattraper m’a été donnée avec la parution de ce recueil de ses meilleurs entretiens.

Il s’agit bien, ici, comme le titre l’indique, de « conversations » et non de bêtes interviews : autour d’un déjeuner ou d’un dîner dans un restaurant souvent fort onéreux, arrosé d’une (ou plusieurs) bonne bouteille de vin, Beigbeder s’adonne à un journalisme mondain qui consiste non à poser des questions, mais à bavarder, avec des écrivains qui sont aussi parfois des amis.

Le résultat ? Quelque chose de convivial, d’insolent, de décomplexé, drôle souvent, futile parfois, mais aussi, curieusement, profond : de ces small talks naissent régulièrement de très riches réflexions sur la littérature, la création. Ce que c’est que d’être écrivain.

L’intérêt évidemment réside dans la double casquette de Beigbeder, qui mène l’entretien comme journaliste mais le nourrit aussi comme écrivain ; l’autre intérêt est sa grande proximité avec ses victimes, qui lui font confiance et se livrent plus facilement.

L’ouvrage est très riche : pour des publications diverses, entre 1999 et 2014, Beigbeder a ainsi rencontré des gens aussi fascinants et divers que Bernard Frank, Philippe Sollers, Jean-Jacques Schuhl, Chuck Palahniuk, Jay McInerney, Tom Wolfe, Alain Finkielkraut, Jean d’Ormesson, Michel Houellebecq, Bret Easton Ellis ou James Salter.

Il s’amuse même, à l’occasion, à s’interviewer lui-même ou à s’entretenir avec les morts, Bukowski, Fitzgerald.

Evidemment, les entretiens sont de longueur et d’intérêt variables ; les plus longues sont celles pour GQ, que l’on retrouve dans une version intégrale inédite, mais ce ne sont pas forcément les plus « nourrissantes » (au sens spirituel) ; cela dépend surtout des invités : si Finkielkraut m’a agacée (comme souvent) et Matzneff révoltée (comme d’habitude), j’ai en revanche trouvé Houellebecq extrêmement touchant et attachant.

C’est la vie qui se déploie dans ce volume : moments hédonistes de bonnes chères et de vin, les entretiens sont l’occasion de parler de tout ce qui fait la vie plus belle. Le désir, l’amour, la littérature : plein de petites phrases se détachent, et sont l’occasion de réfléchir au monde !

Conversations d’un enfant du siècle (lien affilié)
Frédéric BEIGBEDER
Grasset, 2015

16 commentaires

  1. framboise dit :

    intringuée je suis par ce livre et ton billet est tentateur !
    je crois bien que je vais me lancer 😉

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    1. C’est une lecture très agréable !

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  2. Eva dit :

    je ne suis pas forcément une grande fan de Beigbeder, mais vu ses interlocuteurs dans ce livre, ça m’a vraiment donné envie de lire cet ouvrage, que je me suis procuré cette semaine…

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  3. Chouette ! J’ai toujours beaucoup aimé le Beigbeder romancier jusqu’à Windows on the World. Après ça, j’ai un peu décroché. Ton billet pique drôlement ma curiosité. MERCI pour ce partage.

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  4. Violette dit :

    je n’aime pas vraiment l’auteur mais bien sûr, bien sûr que ce titre me fait de l’oeil depuis sa sortie!

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  5. lorouge dit :

    C’est la première fois qu’un Beigbeder m’attire et c’est toi qui a réussi ça ;0) L’idée est excellente et je me demande pourquoi personne n’y a pensé avant ;0) C’est en effet beaucoup plus sympa que de banals interviews, les auteurs en disent certainement plus de cette façon moins conventionnels et bien plus convivial… Je le note et mets ton billet dans vos plus tentateurs (le premier titre de Beigbeder que j’ai envie de noter :0)

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    1. 😉 je ne suis pas peu fière !

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  6. Récemment convertie à Beigbeder, je me laisserai certainement tenter par ce livre !

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    1. C’est un autre Beigbeder !

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