D’après une histoire vraie, de Delphine de Vigan

D'après une histoire vraie

Tu sais, la fiction, l’autofiction, l’autobiographie, pour moi, ce n’est jamais un parti-pris, une revendication, ni même une intention. C’est éventuellement un résultat. En fait, je crois que je ne perçois pas les frontières de manière aussi claire. Mes livres de fiction sont tout aussi personnels, intimes, que les autres. On a parfois besoin du travestissement pour explorer la matière. L’important, c’est l’authenticité du geste, je veux dire sa nécessité, son absence de calcul.

Ce roman était sinon celui que j’attendais le plus, du moins l’un d’eux, en cette rentrée littéraire. Tout simplement parce que j’aime ce que fait Delphine de Vigan, et que cela faisait tout de même quatre ans que nous attendions du nouveau, depuis la publication du sublime Rien ne s’oppose à la nuit

Lorsque je l’ai commencé, je ne savais même pas de quoi il était question : je n’avais rien lu, rien écouté, volontairement. Une lecture totalement innocente.

Après la parution de son dernier roman, la narratrice, Delphine, est prise d’une phobie soudaine pour l’écriture. Une incapacité d’écrire la moindre ligne, au sens strict, puisque même écrire sa liste de courses est impossible. Beaucoup d’écrivains font l’expérience de ce type de vertige. La fatigue, la pression, multiples peuvent être les raisons de ce blocage. Mais, selon la narratrice, la responsable, c’est L., rencontrée au moment où elle aurait dû se remettre à écrire.

Dès les premières pages, le récit touche de plein fouet : Delphine de Vigan dit magnifiquement la fragilité de l’écrivain, le trop plein d’émotions, la vulnérabilité, la sensibilité exacerbée.

Ecrire, c’est mettre toutes ses forces dans quelque chose — et se retrouver ensuite totalement démuni, à la merci de n’importe quel vampire. Et ce d’autant plus que la narratrice est extrêmement émotive depuis l’enfance, peu sûre d’elle et de sa féminité.

Les pièces du thriller sont alors en place et peut entrer en scène la manipulatrice qui va s’immiscer dans sa vie et essayer de la réduire à néant. Un thriller donc, parfaitement ficelé, qui tient à la fois d’Hitchcock et de Stephen King.

Oui, mais si c’était tout, ce serait juste un bon roman.

Ce qui est vraiment en jeu ici, c’est la littérature, et cette question qui fait couler des litres d’encres particulièrement en cette rentrée littéraire : le réel et la fiction.

Par le jeu du dialogisme, les deux positions s’affrontent : Delphine défend la fiction, parce que de toute façon l’écriture est toujours liée à l’intime de l’écrivain ; L. défend le réel, annonce la mort de la fiction dont les lecteurs ne veulent plus, réclamant du témoignage, du biographique, du vrai, et le rôle de l’écrivain est de donner naissance à ce livre caché que nous portons tous en nous.

Alors, réel ou fiction ? La réponse est magistrale, et inscrite au cœur même du fonctionnement du roman. Aux petits faits vrais, « effets de réels » qui viennent signaler un ancrage autobiographique, viennent s’opposer les petits faits faux, « effets de fictions » qui déréalisent l’ensemble et sèment le trouble.

Tels les cailloux du Petit Poucet, ils sont ramassés par le lecteur plus ou moins attentif et curieux, qui ira à l’occasion vérifier les faits et se retrouvera bien ennuyé… Mais quelle idée, aussi, d’aller vérifier les faits !

Alors, vrai ou faux ? La réponse est claire : finalement, on s’en moque. Le réel pur n’existe pas, la fiction pure non plus, la littérature est toujours entre les deux.

Brillant dans sa construction et sa mise en abyme, ce roman se lit comme un thriller intelligent qui pose les bonnes questions sur la littérature, et y répond avec maestria. Le tout avec une certaine dose d’autodérision (Aimer un homme qui passait son temps à recevoir et louanger d’autres écrivains, voilà qui lui semblait périlleux […] L. avait été jusqu’à me comparer à une institutrice qui aurait choisi de vivre avec un inspecteur d’académie […] le type rentre chez lui tous les soirs pour lui raconter les expériences pilotes menées par des super profs dans des lycées d’excellence, alors qu’elle n’arrive même pas à maintenir l’ordre dans une classe de CM2…). Pourquoi s’en priver ?

D’après une histoire vraie (lien affilié)
Delphine de VIGAN
Lattès, 2015

44 commentaires

  1. Sandrine dit :

    Le libraire en question : je n’aime pas non plus, au moins autant que Busnel, si ce n’est plus ! Tu me diras que je n’aime décidément personne, mais si : Augustin Trapenard, pour moi c’est le must du journaliste littéraire. J’apprécie l’humilité et la discrétion, ce qui n’est carrément pas l’apanage du libraire et du présentateur dont il est ici question…
    Tout ça pour dire que je ne me serais pas gênée pour le dire si je n’avais pas aimé, au contraire (niark, niark…). Mais non, j’ai beaucoup aimé (malgré quelques creux en cours de lecture) : c’est une façon très habile d’aborder nombre de problèmes soulevés par l’autofiction. C’est un roman malin, et j’aime ça.

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    1. J’aime énormément Augustin aussi, même si pour des raisons de boycott je ne le vois plus dans le Grand Journal (mais je podcaste Boomerang religieusement)

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  2. Leiloona dit :

    Ah le fameux libraire. Je ne l’écoute plus depuis longtemps … Dès qu’un roman est un peu complexe (et celui-ci l’est, on aura beau dire le contraire, cette histoire clôt le débat fiction / autofiction / réel … d’ailleurs qu’est-ce que le réel ? Plutôt MA réalité que « la »), il le dénigre …
    Bref, je suis plus que ravie que tu aies aimé. Compliqué hein d’écrire un billet sans trop en dire ? 😀

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    1. Oui, c’est dur, j’espère y être arrivée. Pour l’autre, c’est sûr, dès que c’est plus compliqué que Oui-Oui au pays des jouets, il bugue…

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  3. keisha41 dit :

    J’évite de trop en lire aussi, puisque je veux lire ce roman… Mais j’aime bien ton paragraphe de fin (moi aussi ça me dissuaderait de le lire, ce roman, en tout cas j’espère qu « IL » ne l’invitera pas à LGL.

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    1. Je serais très surprise qu’il le fasse, même si du coup c’est dommage aussi car j’aurais voulu la voir en parler…

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      1. Marie-France dit :

        Pour ceux et celles que çà intéresse, DdV a fait une courte interview suite à la parution de son dernier roman dans l’émission Allò Docteurs sur France 5 récemment. J’ai brièvement cherché la retransmission mais ne l’ai pas trouvée, j’espère que vous aurez plus de chance ! ;o)

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        1. Marie-France dit :

          Par contre, j’ai trouvé çà : https://www.youtube.com/watch?v=36iMUNmycZU

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        2. Merci. Elle vient dans ma librairie en octobre de toute façon, donc je la verrai quand même…

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  4. il a l’air génial, j’ai hâte de le lire !

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  5. Valentine dit :

    Je suis bien tentée par celui-ci, j’attends juste de diminuer un peu ma pile de bouquin avant d’en racheter d’autres… Merci pour ton article en tout cas.
    Le fameux libraire devrait effectivement apprendre à écrire, je trouve ça assez incroyable de la part de quelqu’un qui lit autant (ou alors, il ne sais pas taper sur un clavier ? J’essaye de me rassurer !)

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  6. valpumpkins dit :

    Je suis bien tentée par celui-ci, j’attends juste de diminuer un peu ma pile de bouquin avant d’en racheter d’autres… Merci pour ton article en tout cas.
    Le fameux libraire devrait effectivement apprendre à écrire, je trouve ça assez incroyable de la part de quelqu’un qui lit autant (ou alors, il ne sais pas taper sur un clavier ? J’essaye de me rassurer !)

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  7. Mind The Gap dit :

    Je suis en plain dedans, à la moitié environ. Delphine de Vigan est mon âme soeur littéraire. Pour le moment, je m’interroge sur cette L…il y a plein d’indices et de pistes possibles en effet. J’ai hâte de m’y replonger ce soir, et de le terminer sûrement d’ici dimanche !

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    1. Ton âme-soeur littéraire ? Et bien !

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      1. Mind The Gap dit :

        Pas trop dans ce livre (il me reste 100 pages) mais tant de fois elle dit des choses qui sont moi, ou qui me sont arrivées…

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  8. Mind The Gap dit :

    En plein dedans…désolé !

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  9. MyoPaname dit :

    Aaaah bonne nouvelle, j’aime son écriture et j’ai contaminé mes enfants en leur mettant « No et moi » dans les mains 😀
    J’ai hâte d’entamer ce nouveau livre …

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  10. Nanou dit :

    Lu et bien aimé aussi, malgré quelques longueurs. Des passages passionnants sur la façon dont l’écrivain construit son livre.

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    1. Oui, ça m’a vraiment intéressée !

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  11. Quaidesproses dit :

    Il faisait, à la base, partie des livres de cette rentrée que j’avais très (très) envie de lire! Suite à cette chronique, c’est encore plus difficile de ne pas le mettre en tête de gondole! Merci !
    J’adore ta parenthèse, d’ailleurs, tu m’en apprends une… je ne savais pas qu’ils étaient ensemble, et dans le fond ça importe peu (je ne comprendrai jamais ce genre de racontars), même si oui, ça aurait été bien dans la voir dans l’émission parler de ce livre!

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    1. Oui, enfin c’est intéressant de le savoir pour lire le roman, vu qu’elle en parle 😉

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      1. Quaidesproses dit :

        Tu m’épargneras une interrogation ! Alors merci.

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  12. Laeti dit :

    Très mystérieux ce roman, je compte plutôt lire le précédant 😀

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    1. Ce n’est pas du tout la même chose 😉

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  13. Violette dit :

    je n’étais pas au courant de la liaison Busnel/ De Vigan !
    Je lirai ce livre parce que j’adore l’auteur.

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    1. Mais, tu vis dans une grotte ????

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  14. jostein59 dit :

    C’est aussi un de ceux que j’attendais le plus en cette rentrée mais je ne l’ai pas encore. Cela ne devrait pas tarder. Je n’avais pas vu qu’elle venait ( je suppose chez nous) en octobre. Il y a sur ces deux mois de très belles rencontres signatures sur les différentes librairies. Mais je ne peux pas toutes les faire, surtout quand c’est à 18h30 et que tout le monde m’attend le soit à la maison. Dur métier d’être mère de famille.

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    1. Elle vient le 17 octobre à 15h à Passion Culture !

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  15. lorouge dit :

    ça y est, il est enfin en ma possession (après deux visites infructueuses dans ma librairie qui avait été dévalisée les deux fois pour ce titre, apparemment il marche très bien, finalement le libraire m’en a mis un de côté). Donc voilà, j’ai hâte de le lire ;0)

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  16. noukette dit :

    Je n’ai toujours pas lu Rien ne s’oppose à la nuit mais j’ai tout de même très envie de me lancer dans celui là…

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    1. Avoir lu Rien ne s’oppose à la nuit n’est pas indispensable pour lire celui-ci…

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  17. Marion dit :

    J’attendais le prochain roman de Delphine de Vigan avec impatience ! J’ai hâte de me plonger dans cette lecture !

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    1. Oui, il est vraiment… intrigant !

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  18. cartonsdemma dit :

    Je compte bien le lire, je viendrai voir ce que tu en penses après, pour ne pas en savoir trop avant de le commencer. J’avais adoré le précédent

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