Je n’arrive pas à imaginer l’individu que je serais devenu sans la littérature, sans ces centaines d’écrivains qui m’ont donné la main, consolé, bousculé, galvanisé, aimé, à leur façon silencieuse, lointaine, d’outre-tombe pour la plupart — les morts ne sont jamais absents, seuls les vivants nous manquent.
Nous avons tous, ou presque, lu le Journal d’Anne Frank lorsque nous étions adolescents, en ressortant souvent bouleversés par le destin cruel de cette enfant vive et espiègle, promise sans doute à un grand avenir littéraire, brisé par la barbarie. Ce texte, rare sont ceux qui le relisent à l’âge adulte : c’est pourtant ce que fait le narrateur de ce roman.
Professeur de français, le narrateur éprouve culpabilité et honte après qu’un de ses élèves a perpétré un attentat. Il éprouve alors le besoin, parce rien ne ressemble plus à la barbarie que la barbarie, de relire le Journal, et d’écrire une longue lettre à son auteure.
Hafid Aggoune a terminé son livre en décembre 2014, avant dont les événements du 07 janvier, et pourtant, on ne peut évidemment pas s’empêcher d’y penser. Pour autant, les attentats ne sont pas au coeur du dispositif de ce roman : ils sont un point de départ, qui font horreur en montrant à quel point la barbarie ne cesse de changer de visage à travers l’histoire mais reste toujours essentiellement la même, mais qui permettent avant tout d’entrecroiser deux histoires, Anne et le narrateur, le passé et le présent. Le fantôme de la petite Anne Frank ne cesse de planer sur le roman, qui cerne au plus près celle qu’elle était, sa joie de vivre, son intelligence, mais aussi celle qu’elle serait devenue, et le mythe dont elle est entourée, ce dont elle est le symbole. En contrepoint, le narrateur raconte son histoire, ses relations compliquées avec son père, le travail acharné qui lui a permis de casser le déterminisme social grâce à l’école républicaine, grâce aux livres. Et ce qui ressort de ce roman, c’est une magnifique réflexion sur le pouvoir des mots et de la littérature, seul rempart dans un monde de haine, d’ignorance et de peur : à l’extrémisme religieux quel qu’il soit, le narrateur oppose la religion de la culture, de la littérature et de l’humanisme. Oui, la littérature peut sauver !
J’ai un peu tiqué sur la vision messianique et angéliste donnée du métier d’enseignant : je suis peut-être trop cynique et désenchantée sur la question, mais si je crois fermement que la culture est le seul rempart que nous ayons contre la barbarie et la haine, je crois aussi, malheureusement, que l’école républicaine est à bout de souffle, et surtout que la manière techniciste dont on nous oblige à enseigner la littérature ne sauvera rien, mais enfin, cela mériterait tout un livre donc je ne m’étendrai pas, d’autant que c’est peut-être simplement moi qui suis à bout de souffle. C’est ma seule réserve (très personnelle du coup) concernant ce magnifique roman, qui ne peut que faire écho à tous les événements traumatisants que nous avons vécu depuis janvier (et se montre du coup assez prophétique), et leur oppose une grande générosité et de grands idéaux pour lesquels nous devons nous battre.
Lecture commune avec Leiloona, Séverine et George !
Anne F.
Hafid AGGOUNE
Plon, 2015
7/12
By Hérisson
J’adore ton billet (surtout ton dernier paragraphe), il fait remonter le roman dans ma PAL
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Ah, chouette !
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Comme je le disais chez George, je n’avais pas été convaincu par l’auteur lorsqu’il a présenté son roman. Le lien entre le jeune garçon terroriste et Anne Franck me semblait vraiment vague. Mais vous êtes d’accord toutes les deux sur le fait que ce roman met en avant le pouvoir de la lecture et cela me donne envie de l’ouvrir !
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Ah oui, c’est l’enjeu essentiel !
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Arrivée en force pour ce roman avec plusieurs chroniques élogieuses. Très beau texte.
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Oui !
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J’aime la façon dont nos lectures éclairent chacune à leur manière ce roman.
Même si effectivement la profession de foi de l’enseignant est un peu trop « angéliste » comme tu le dis, j’y trouve cependant ce qui me motive dans ce métier que je redécouvre.
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Oui, alors que moi j’en suis à un point de désenchantement trop avancé !
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Ah le caractère messianique de l’école, non, mais de chaque professeur qui peut entrouvrir une porte vers le savoir, oui … Même si je ne crois pas en dieu, je crois que nous avons tous (je l’espère du moins) un prof qui nous a montré par sa passion notamment comment accéder à cette culture, du moins la rendre accessible et compréhensible.
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Nous, oui, mais les autres ?
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En écoutant d’autres « grands » parler, chacun a eu un prof marquant. L’espoir est là ! 🙂
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Tellement vrai ce dernier paragraphe…
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😉
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Le côté prof messianique m’a échappé, j’avoue…. étant loin du corps enseignant. Mais je vois ce que tu veux dire, et j’ai bien senti les instits et les profs de mes enfants à bout comme tu le dis. Enfin j’espère quand même que mes enfants croiseront des profs comme cet homme, aussi!
Et je suis bien d’accord sur l’aspect « idéaux » à défendre dont tu parles.
Bref, elle était chouette cette LC! 🙂
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Oui, très chouette !
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J’ai tout lu (ou presque) d’Haffid Aggoune alors bien entendu, je lirai celui-ci. Il a une superbe plume et le thème est plus que d’actualité.
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Oui, très actuel !
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Je n’ai toujours pas lu le journal d’Ann Franck, donc pas relu non plus, CQFD… Pourtant, en allant à Amsterdam, je pensais pouvoir visiter la maison d’Anne Franck et ensuite, me précipiter pour lire le livre. Hélas, 3 fois nous sommes passées devant cette maison, 3 fois il y avait 4 heures de queue, donc nous n’avons pas insisté. Le seul raté de notre voyage. Donc je ne pense pas lire ce livre sans avoir lu « l’original ».
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C’est le problème, les files d’attente…
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Je le note tout de suite dans ma PAL!
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Tu as raison !
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Je ne l’avais pas mis dans ma LAL de la rentrée littéraire mais ton billet me fait changer d’avis. J’ai désormais très envie de le lire. Merci 😉
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Super ! Tu verras, ça dit beaucoup de choses !
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