Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie

Mais s’il gagne, il ne sera plus noir, de même qu’Oprah n’est plus noire, elle est Oprah, dit Grace. Si bien qu’elle peut se rendre sans problème dans les endroits où les Noirs sont détestés. Il ne sera plus noir, il sera seulement Obama.

Qu’est-ce qu’être noir, aujourd’hui, aux Etats-Unis ? Qu’est-ce qu’être noir américain, qu’est-ce qu’être noir non américain ?

C’est une des nombreuses questions que pose ce roman de Chimamanda Ngozi Adichie, qui est en train de devenir un véritable phénomène. Tout le monde semble l’avoir lu, être en train de le lire ou projeter de le lire dans un avenir proche. Alors c’est un pavé, et il aborde tellement de thèmes qu’il faut avoir du temps devant soi pour pouvoir en profiter pleinement, mais franchement, il mérite son succès.

Lorsque le roman commence, Ifemelu, après de nombreuses années passées aux Etats-Unis, est sur le point de rentrer au Nigéria. Décision mûrement réfléchie puisqu’elle n’y est pas du tout obligée, et qui lui permet, alors qu’elle se fait faire des tresses dans un salon, de se replonger, sous forme d’analepse, dans son histoire : son enfance à Lagos, puis son départ pour l’eldorado américain qu’elle imagine comme un épisode du Cosby Show, ses études et les débuts de sa vie d’adulte.

La question des tresses n’est pas là par hasard, et c’est l’un des points d’achoppement du roman, comme un fil rouge qui permettrait de mettre en évidence la problématique essentielle : celle de l’identité. Après avoir beaucoup bataillé pour les défriser et les avoir raides, car c’est un moyen de donner une bonne image de soi, Ifemelu décide finalement de les laisser « naturels », et cette décision est finalement très symbolique. Elle veut être elle-même. Elle veut qu’on l’accepte pour ce qu’elle est.

Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne « s’intègre pas » : une Americanah, c’est au contraire celle qui s’est américanisée, en tout cas selon les critères de ceux qui sont « restés au pays ». Toute la question, finalement, est de savoir dans quelle mesure Ifemelu s’est, effectivement, « américanisée ». Il est vrai qu’en plusieurs années, elle s’est habituée à un certain mode de vie. Pourtant, elle garde toujours une certaine distance critique vis-à-vis de ce pays où elle a pris conscience qu’elle était noire.

Il n’y a pas vraiment de réponse à cette question de l’américanisation, pas non plus de jugement, et c’est bien ce qui est passionnant avec ce roman d’une grande richesse : il aborde de nombreuses problématiques complexes, mais ne les résout pas. Tout l’enjeu est dans la mise au jour de tout le processus de la race aux Etats-Unis (et, de façon moins nette mais importante aussi, du genre et de la place des femmes dans la société : féministe convaincue, Adichie a également écrit un essai qui sort aujourd’hui chez Folio : Nous sommes tous des féministes).

Les clichés et les stéréotypes. La dichotomie visible/invisible qui m’a d’ailleurs à de nombreuses reprises rappelé le chef d’œuvre de Ralph Ellison, Invisible Man. 

Un peu comme dans les Lettres Persanes, le point de vue est celui du regard extérieur : c’est un regard neuf et naïf qu’elle pose sur le fonctionnement de la société américaine, et elle en fait un blog, et tout ce qui tourne autour de cette question de l’écriture du blog et de la manière dont il devient un nouveau média de poids (au point qu’elle parvient à gagner sa vie avec, qu’elle est invitée à donner des conférences et qu’un magazine veut le lui racheter) est évidemment fascinante.

D’ailleurs, rentrée au Nigeria, elle en ouvre un autre et compte en faire sa profession. Le texte est émaillé de courts articles du blog en question, souvent assez amusants et irrévérencieux, tout comme l’est son nom, Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non américaine.

Americanah est donc un roman d’une grande richesse et d’une grande profondeur, qui ne manque pas d’humour ni d’une certaine poésie à l’occasion, dont les problématiques peuvent parfois sembler complexes (et éloignées des nôtres car très américaines), mais passionnant, et qui n’est pas un roman à thèse ni un roman sociologique : ce serait, plutôt, un roman d’apprentissage, il nous raconte une histoire, celle d’Ifemelu, personnage extrêmement intéressant et attachant, libre et indépendante, de sa vie, de ses rêves, de ses amours aussi !

Americanah (lien affilié)
Chimamanda NGOZI ADICHIE
Traduit de l’anglais par Anne Damour
Gallimard, « du monde entier », 2015

42 commentaires

  1. jostein59 dit :

    Il fait l’unanimité ce livre. A lire bientôt.

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    1. Oui, c’est vraiment une belle découverte !

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  2. profplatypus dit :

    Je fais partie de ceux qui projettent de le lire, en effet. Et ce que tu en dis me donne envie de le faire plus vite que prévu !

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    1. Et si ça se trouve, nos avis seront concordants !

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  3. enigmathie dit :

    Je compte également le lire! Ton avis me conforte dans ce choix 😉

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    1. J’en suis ravie !

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  4. Laeti dit :

    Son intervention dans La Grande Librairie m’a séduite. Elle a l’air d’être une belle personne!

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    1. Oui, vraiment très intéressante !

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  5. Et tu as lu l’autre moitie du soleil de la meme auteure?

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    1. Non, je la découvre avec ce roman !

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      1. L’autre moitie du soleil est superbe! Je n’ai pas encore lu Americanah! Moi je l’avais decouverte via un Ted-talk qui a fait le buzz, maintenant elle a meme fait plusieurs TED-talks! C’est une tres bonne conferenciere aussi 🙂

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        1. Merci, je note du coup !

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  6. Comme Laeti, j’ai découvert cette auteure et ce livre récemment dans La Grande Librairie. Ca donne envie mais il faut d’abord que je fasse diminuer ma PAL… 😉

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    1. D’autant que c’est un pavé !

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  7. ohoceane dit :

    e dois l’entamer ce weekend, si tout va bien, alors je ne lis pas ta chronique (j’essaie de rester neutre avant ma lecture, il y a tant d’articles sur ce roman !), je repasse ici dès que je l’ai terminé ^^

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    1. Alors je te souhaite une bonne lecture !

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  8. keisha41 dit :

    Je viens enfin de découvrir qu’il sera à la bibli, non mais quoi!

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    1. Cela aurait été honteux qu’ils ne l’aient pas !

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  9. noukette dit :

    J’en ai lu une centaine de pages et pour l’instant j’aime beaucoup…!

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  10. Camilla dit :

    Un livre que je lirai! 🙂 Son auteur était invitée à La Grande Librairie une fois 😉

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    1. Oui, je l’ai vue, c’était passionnant !

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  11. mokamilla dit :

    Un roman que j’ai terriblement envie de lire.

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    1. Et tu as raison !

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  12. enna dit :

    J’ai adoré ce roman (au point où je ne sais pas encore par quel bout commencer mon billet (heureusement c’est une LC qui a été repoussée au 20 mars, j’ai le temps d’y penser 😉 Je l’avais acheté avant sa sortie en France car j’avais beaucoup aimé « L’autre moitié du soleil » et « L’hibiscus rouge » : je te conseille les deux!

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    1. Oui, j’ai noté… mais pour quand…

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  13. jerome dit :

    Je suis en plein dedans et je prends un vrai plaisir à m’y plonger chaque soir.

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    1. Oui, ce roman est un régal !

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  14. clara dit :

    J’ai tout aimé ! Un livre très, très intéressant et creusé!

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  15. Géraldine dit :

    Je n’avais pas encore entendu parler de ce « phénomène », mais en tous cas, le sujet m’intéresse bien ! Je note

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    1. Attention, c’est un pavé !

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  16. titine75 dit :

    C’est vraiment le livre qui me fait le plus envie en ce début d’année.

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    1. Il faut céder à ton envie !

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  17. Fleur dit :

    Je fais partie de celles qui prévoient de le lire!

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    1. Et tu as raison !

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  18. Vee dit :

    Ce livre est dans ma pile de livres à lire! On ne peut passer à côté, c’est le livre du moment (depuis un moment déjà, d’ailleurs)

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