La Nuit de l’Oracle, de Paul Auster

La nuit de l'oracleÇa ne veut rien dire, Sid. Sinon que tu as le cerveau un peu fêlé. Et je suis tout aussi fêlé que toi. Nous écrivons des livres, non ? Que peut-on attendre d’autre de gens comme nous ?

Je trouve qu’il y a quelque chose de décadent à lire un roman de Paul Auster, le grand amoureux de New-York, dans un parc londonien. Pourtant, il était exactement adapté au moment : alors que je ne cessais moi-même de prendre des notes dans mon carnet, je lisais l’histoire d’un écrivain qui écrit dans un carnet (voilà pour la première mise en abyme)…

Après un long séjour à l’hôpital, le narrateur n’est plus que l’ombre de lui-même, comme si à 34 ans il était subitement devenu un vieillard. New-York, sa ville, est devenue pour un parcours d’obstacles. Mais, dans l’espoir de se remettre à écrire, il entre un jour dans une nouvelle papeterie pour acheter du matériel, et a le coup de foudre pour un carnet, en apparence banal mais qui l’attire irrésistiblement — et, sitôt rentré chez lui, il se met à écrire sans pouvoir s’arrêter.

Je suis toujours subjuguée par les textes de Paul Auster, mais là, j’ai juste envie de crier au chef-d’oeuvre, rien de moins. On sait combien j’aime les histoires d’écrivains, et dans ce roman Auster traite ce thème de manière absolument magistrale, utilisant comme personne les vertiges de la mise en abyme : on lit l’histoire d’un narrateur qui prend des notes pour un futur roman dans un carnet ; dans ce roman, il est question d’un manuscrit, qui s’intitule La Nuit de l’oracle : la mise en abyme est donc double, et elle se multiplie puisqu’à l’occasion d’autres morceaux de textes naissent sous nos yeux, dans une sorte d’ébullition créative, et que les longues notes de bas de page constituent elles aussi des petites histoires, qui éclairent l’histoire principale d’un jour nouveau. Ce qui est fascinant ici, c’est que nous ne lisons pas réellement le roman (qui d’ailleurs sera abandonné), mais la manière dont il se construit dans l’esprit de l’écrivain : c’est au coeur même du processus créatif que nous conduit Paul Auster. Mais tout cela n’est pas purement formel, vous vous en doutez : le roman flirte avec le fantastique (on pourrait aller jusqu’à parler de « réalisme magique »), et s’intéresse à un sujet qui me passionne : l’écriture prédictive. On sait que, souvent, la littérature s’inspire du réel ; mais, parfois, c’est l’inverse, et c’est la fiction qui s’actualise, comme si l’écrivain savait certaines choses avant qu’elles ne se produisent, sans en avoir conscience, ou bien, plus inquiétant, comme si le fait de les écrire provoquait les événements, par une sorte de sorcellerie évocatoire. Le pouvoir des mots est implacable.

Ce roman vertigineux, qui explore la frontière poreuse entre le réel et la fiction, est donc un gros coup de coeur, et je ne saurais trop vous conseiller de vous précipiter pour le lire !

La Nuit de l’oracle
Paul Auster
Actes Sud, 2004

Lu (il y a longtemps) par Stephie, Leiloona, Keisha

29 commentaires

  1. Leiloona dit :

    Ouh là là, oui il y a bien longtemps que je l’ai lu ! 😮 Mais j’en garde encore un souvenir précis tant ce roman fut une véritable révélation chez moi. Un incontournable chez l’auteur et je n’ai jamais réussi à trouver mieux chez lui encore.

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    1. irreguliere dit :

      En effet, c’est pour l’instant mon préféré, mais j’en ai encore beaucoup à lire

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  2. GentlemanW dit :

    Merci de nous ressortir des livres déjà parus, un peu oubliés, à contre-courant des éternelles nouveautés « quasi obligatoires à lire ».

    Il doit être à la bibliothèque, je vais l’emprunter.

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  3. clarahbt dit :

    Comme si je n’avais déjà pas assez de livres à lire, tu me mets l’eau à la bouche. C’est le genre d’histoire (ces histoires d’écrivains) qui, comme toi, me plaisent énormément et font toujours un peu écho à ce que je vis en tant que scribouilleuse.
    Bref, un nouveau livre ajouter à ma PAL, je repasserais t’en dire des nouvelles quand je l’aurais lu.
    A très vite,
    Clara.

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    1. irreguliere dit :

      Avec plaisir !

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  4. madmoizela dit :

    Celui-là, je le note! Absolument!! Je suis fascinée par ce thème. Ca va me rappeler ma lecture de Si par une nuit d’hiver… de Calvino. J’avais lu Léviathan de Paul Auster et j’avais été assez surprise par ce roman. Merci pour le partage! Bonne journée!

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    1. irreguliere dit :

      C’est moins vertigineux que Calvino, ceci dit…

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  5. clara dit :

    Toujours pas lu cet auteur ( ou, je sais c’est honteux:))

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    1. irreguliere dit :

      Oui, ça commence à le devenir 😉

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  6. Catherine dit :

    Tu donnes bien envie avec ta chronique! J’aime beaucoup Paul Auster

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  7. sylire dit :

    Lu il y a un bon moment aussi et un coup de coeur :
    http://sylire.over-blog.com/article-24241649.html

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    1. irreguliere dit :

      Ah mince, je n’avais pas trouvé ton article !

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  8. keisha41 dit :

    Je l’ai lu, ah oui (je confondais avec un autre, que je veux relire…)(Auster, oui…)

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  9. noukette dit :

    Une éternité que je n’ai pas lu cet auteur, je note ce titre !

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    1. irreguliere dit :

      C’est celui que je préfère de lui pour l’instant

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  10. Sublime, comme toute l’oeuvre de Paul Auster, d’ailleiurs. Pour moi, avec Philip Roth, ce sont les + grands écrivans US. Sur ce même thème – « abime », comme tu dis, cahier de notes – il faut lire aussi Enrique Vila-Matas, l’espagnol qui m’enchante egalement.

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    1. irreguliere dit :

      Merci, je ne connais pas du tout, mais comme le sujet me passionne…

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  11. geraldinecoupsdecoeur dit :

    Il faut que je lise ce roman !!! En plus, depuis le temps que je dois approndir cet auteur !!!

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  12. Colombines dit :

    Je viens d’avoir un coup de foudre littéraire. Merci merci merci.
    C’est LE livre que je devais lire maintenant (oui, rien que ça).
    Et ton style d’écriture me plait énormément, au passage ^^

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  13. milleetunefrasques dit :

    Tiens, quelle bonne idée ce serait de relire Auster. Auteur découvert grâce à Leiloona mais avec un autre titre

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    1. irreguliere dit :

      Je ne m’en lasse pas !

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  14. ohoceane dit :

    Toujours bon de lire Auster, à Paris, Londres ou New York 🙂

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