Tout d’abord, le Monde fut créé ; puis, cela va de soi, les Snobs. Ils existèrent pendant des années et des années, et on ne les connaissait pas plus que l’Amérique. Mais bientôt — ingens patebat tellus — les gens prirent obscurément conscience de l’existence d’une telle race. Il n’y a pas plus de vingt-cinq ans, un nom, un expressif monosyllabe surgit pour désigner cette race. Ce nom s’est répandu à travers l’Angleterre comme, par la suite, les chemins de fer. Les snobs sont connus et identifiés d’un bout à l’autre d’un Empire sur lequel, à ce qu’on me laisse entendre, le soleil ne se couche jamais. Punch apparaît au moment voulu pour relater leur histoire et voici venir l’individu qui doit écrire cette histoire dans Punch.
L’autre jour, l’un de mes personnages a traité son ami de « snob » ; or, l’ami en question étant un authentique aristocrate, il s’insurge contre cette appellation et fait à l’insolent un cours sur ce que je croyais depuis de longues années être l’origine étymologique attestée du mot, sine nobilitate, abrégé donc snob, pour désigner les enfants issus de la bourgeoisie qui, par désir de se distinguer, fréquentaient les mêmes écoles que ceux issus de la noblesse. Snob ne saurait donc absolument pas être une insulte adéquate pour un lord, conclut mon (un peu arrogant il est vrai, mais tellement charmant) aristocrate ! Or, en faisant quelques recherches, j’ai appris que si cette origine étymologique n’est l’objet d’aucun débat en France, ce n’est pas le cas en Angleterre, où elle est très discutée. Quoiqu’il en soit, l’idée est la même : le snob désigne celui qui par vanité tend à reproduire le comportement d’une classe sociale ou intellectuelle qu’il estime supérieure. En général, de fait, la noblesse. Donc mon aristo n’a pas tout à fait tort dans le fond… encore que !
Du coup, toute à mes recherches (je ne fais jamais les choses à moitié), je me suis dit que ça serait l’occasion de sortir enfin de ma bibliothèque un livre qui y dormait depuis… je ne sais même pas quand : le très célèbre Livre des snobs de Thackeray, recueil d’articles publiés à l’origine dans le magazine satirique Punch et paru en 1848, et qui popularisa le sens moderne du terme snob en le faisant entrer dans le langage courant.
A ce stade, l’ouvrage était donc sorti de ma bibliothèque et installé dans ma PAL, où il aurait pu rester longtemps encore, si n’était venu le mois anglais…
Dans ce recueil d’articles, Thackeray, après avoir montré le besoin dans lequel était la société de disposer d’une étude sur les snobs, mal typiquement anglais selon notre auteur, et qu’il était lui-même l’homme destiné à l’écrire, le malicieux écrivain s’attelle à la tâche et, dans une série de chapitres franchement désopilants, nous montre les snobs royaux et aristocratiques, les snobs de la City, les snobs militaires et ecclésiastiques, les snobs universitaires et littéraires, les snobs des villes et les snobs des champs, etc.
Et le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère en argent : avec une verve irrésistible et une ironie mordante, Thackeray nous propose une série de portraits et d’anecdotes au vitriol, extrêmement satiriques, qui ne sont pas sans rappeler à l’occasion Les Caractères de La Bruyère. Le tout constitue un portrait sans concession d’une société atteinte de lordolâtrie du premier au dernier degré de l’échelle : si les Aristocrates sont affreusement snobs car ils se croient au-dessus de l’humaine condition, tout ce qui n’est pas noble est affreusement snob par son imitation et sa servilité à l’égard des premiers. Finalement, en Angleterre, tout le monde est snob, à commencer sans doute par l’auteur lui-même, un snobisme qui est une sorte de mélange de vulgarité, de jalousie et de présomption.
Il égratigne au passage les Français, très doués pour « la fanfaronnade » et connus pour « leur intolérable vanité pour tout ce qui touche à la France, la gloire, l’Empereur, et autres choses du même ordre » ; l’Anglais, lui, est animé d’une conviction profonde : « Nous valons mieux que le reste du monde ; c’est là une opinion que nous ne mettons nullement en doute ; c’est un axiome« . Dont acte.
Très ironique et rempli de jeux de mots et de calembours (je tire mon chapeau au traducteur), cet ouvrage est donc un vrai bonheur de lecture, même si je trouve que Thackeray a parfois une conception très large du snobisme !
Le Livre des Snobs
William Makepiece THACKERAY
Flammarion, GF, 1990
Rien que pour le titre, il faut ce livre dans une bibliothèque… J’adore.
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C’est vrai !
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J’ai envie de le lire depuis longtemps, j’aime beaucoup l’ironie de Thackeray.
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C’est vraiment savoureux !
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Un livre que j ‘adore!!! Comme toi j ‘admire le traducteur ;o)
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Oui, ça doit être très difficile
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Je l’avais lu avec beaucoup de plaisir !
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Moi aussi !
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Humour anglais, un délice!
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Toujours !
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Votre billet du jour donne une nouvelle idée de lecture…merci cette analyse intéressante!
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Merci à vius
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J’aimerai beaucoup lire ce livre, je viens de terminer le « Snob extrême – Précis de fuite artique et antartique » de Antonius Moonen, qui est aussi très savoureux.
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Ah, il faudra que je jette un oeil, merci
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Vous êtes adorable !!
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Ah ? Beaucoup disent le contraire, en ce moment…
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Un livre qui devrait illuminer mon été ! Je note !
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