La peau de la fille est saturée de lumière, elle la renvoie comme un métal. Ça, il ne l’a pas corrigé à l’écran, c’est une signature, une photo de début de siècle, la fille blessée par une ampoule trop vive, un flash trop proche dans un studio de l’Ancienne ou de la Nouvelle Médina de Casablanca. C’est une photo, dans un studio, d’une prostituée — khba — qui fait la Marocaine, quelque part près du quartier réservé du Bousbir.
J’avais envie de lire ce récit pour plusieurs raisons. D’abord, j’avais envie de découvrir Valentine Goby (mais Kinderzimmer traite d’un thème que j’évite plutôt à cause de mes tendances empathes, je mets des semaines à m’en remettre). Ensuite, j’avais envie de découvrir cette collection des éditions Alma, « Pabloïd », qui donne carte blanche à des écrivains pour composer un texte selon l’un des huit thèmes fondamentaux de l’art selon Pablo Picasso dans La tête d’Obsidienne d’André Malraux : la naissance, la grossesse, la souffrance, le meurtre, le couple, la mort, la révolte, et peut-être le baiser. Et celui-ci en particulier, car il se trouve qu’ayant fait ma thèse sur la représentation des femmes orientales dans l’imaginaire masculin européen, je me suis forcément intéressée à ces cartes postales colonialistes proposant un érotisme de pacotille. Trois raisons, cela faisait beaucoup, n’est-ce pas, donc comment résister…
La Fille surexposée, c’est l’histoire d’une carte postale. Elle est réalisée en 1924, dans un studio photo, et a pour modèle une prostituée déguisée avec les attributs que l’on imagine être ceux de la femme marocaine. Pour le nouvel an 1953, Maurice en achète un exemplaire et l’envoie à son ami Alexandre. En 2011, Isabelle, la petite fille de Maurice, trouve la carte dans les affaires que lui a laissées Alexandre, et dans le même temps Miloudi, un peintre, s’empare du cliché pour une de ses séries…
Quel étonnant voyage que celui de cette carte postale représentant Khadidja la marocaine, en réalité une prostituée du Bousbir, le quartier réservé où les blancs pouvaient aller pour quelques sous réaliser leurs fantasmes d’exotisme. Mais, évidemment, ce texte est beaucoup plus complexe qu’une simple dénonciation des stéréotypes de l’orientalisme et de la marchandisation du corps féminin (même si les pages qui nous font pénétrer le Bousbir sont particulièrement éloquentes). C’est, avant tout, un récit d’une profondeur étonnante sur l’art et sur l’image : ce qu’elle dit, ce qu’elle ne dit pas, son mensonge parfois, mais aussi la frontière étroite entre le visible et l’invisible. Car, surexposée, la fille de la photo est auss, avant tout, totalement ignorée. C’est aussi une réflexion sur l’interprétation du geste artistique : pendant tout le récit, on interprète d’une certaine manière la façon dont Miloudi s’empare de ces images pour les transformer ; et, de fait, on a tort…
Un très beau texte donc, servi par une écriture parfaitement maîtrisée, à découvrir absolument !
La fille surexposée
Valentine GOBY
Alma, 2014
Lu par Jérôme, Leiloona, Noukette
By Val
(La photo a été prise avec Ces sublimes objets du désir de Régine Deforges, Stock, 1998)
En tant que fan d’art et des années 20, ce livre m’intéresse beaucoup 🙂
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Je ne savais pas que tu avais fait ta thèse sur ce sujet, forcément, ce texte ne pouvait que trouver un écho en toi… En plus tu découvres Valentine Goby, c’est la cerise sur le gâteau ! 😉
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Et oui !
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Tu me donnerais presque envie (mais le texte est très court).
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Oui, il est court
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Oui, un très beau texte et une très belle écriture. Mais en même temps c’est Valentine Goby 😉
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Je la découvre !
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Je dois aussi découvrir cette auteure, mais ce ne sera pas non plus avec ce titre qui ne me tente pas plus que ça.
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Oui, c’est assez particulier
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Tout pareil que toi, ce livre me tente plus que Kinderzimmer pour les mêmes raisons (sauf la thèse 😉 )
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Oui, le sujet de kinderzimmer est trop difficile pour moi
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Bonjour,
Votre chronique me surprend un peu, au moins sur un détail : puisque vous avez fait votre thèse sur le sujet, et encore plus sur l’ Egypte, vous avez bien dû vous apercevoir que la photo en couverture de ce tout petit livre n’est absolument pas une photo de Bousbir, ni même une photo du Maroc, mais une photographie très connue de Aram Alban, un photographe Arménien du Caire, vers 1910…
(Cela n’enlève peut être rien a la qualité romanesque du truc, que je n’ai pas encore lût : je viens juste d’aller chercher à la bibliothèque, il m’attends sur mon bureau)
Cordialement,
Olivier Auger
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Bonjour, je n’ai pas travaillé sur cette période, et donc pas sur la photographie…
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