J’ai souhaité faire naître du texte la figure du labyrinthe et les motifs qui lui sont liés ; mieux encore : assister à leur naissance, à leur collaboration à la constitution du texte jusqu’au point final. Sans doute la ville est-elle un labyrinthe, et Bleston sera décrite comme telle par Jacques Revel. Mais il existe un texte de la ville qui va curieusement interférer avec le texte sur la ville qu’il écrit. C’est un texte de mots, d’inscriptions, de paroles, mais c’est plus encore un texte de signes et, par un curieux effet de rétorsion, des signes courent aussi dans le texte de Michel Butor.
Ma lecture de L’Emploi du temps de Butor remonte à loin : je l’ai commencé au Cap-Ferret le dimanche 9 août 1998, à 11h20 du matin, après avoir été à la pêche aux crevettes, par une chaleur caniculaire*. Autant dire le Moyen-Age. Mais c’est un roman qui m’avait fait forte impression, que j’avais ensuite étudié en cours, et dont je garde plutôt un bon souvenir, quoique vague.
L’Emploi du temps est une oeuvre complexe. Le narrateur, Jacques Revel, y tient un journal dans lequel il consigne les événements qui lui arrivent au cours de l’année qu’il passe dans la ville de Bleston, où il effectue un stage chez Mathews and sons. Il commence son récit le jeudi 1er mai, et raconte sa vie à partir de son arrivée le 1er octobre précédent. Comme il n’écrit que les jours de semaine, du lundi au vendredi, cela entraîne de nombreuses ellipses narratives, analepses et parfois erreurs de dates, qui ont tendance à perdre le lecteur, alors même que le récit de Revel vise à circonscrire la ville de Bleston, qui lui apparaît comme un labyrinthe.
Sur cette oeuvre complexe, Pierre Brunel, grand comparatiste qui fait partie de mes maîtres à penser et que j’ai beaucoup lu au cours de mes recherches universitaires, propose un essai où il se présente en Ariane pour nous guider au sein du labyrinthe. Très riche, cet ouvrage stimulant propose des analyses extrêmement précises, passant de la microstructure de la phrase à la macrostructure de la construction du roman dans son ensemble, des réseaux métaphoriques et intertextuels, aboutissant à une mythocritique où l’on croise Thésée, Arachné, Caïn ou encore Orphée. Tout l’enjeu du texte est placé dans la tension entre le fil (ce qui permet de se repérer) et le labyrinthe.
Mon seul regret est personnel : ma lecture de L’Emploi du temps remontant à loin, je n’ai pas pu profiter pleinement de toutes les explications et interprétations, d’autant que l’édition du texte utilisée par Brunel n’était pas la même que la mienne, et que je me suis donc parfois perdue (dans le labyrinthe). C’est évidemment assez complexe, mais ça fait du bien parfois de renouer avec la critique littéraire universitaire. Ça rafraîchit les neurones !
Michel Butor, L’emploi du temps – ou le mode d’emploi d’un labyrinthe
Pierre BRUNEL
Les Editions du littéraire, 2013
* Je vous rassure, je n’ai pas une mémoire absolue, c’est juste qu’à l’époque j’avais la curieuse habitude de noter sur mes livres la date à laquelle je commençais à les lire, ainsi que quelques remarques géographico-météorologiques.
Merci de cette analyse. Je te rejoins, il est toujours plus aisé d’avoir le livre original pour en suivre les analyses.
J’ai eu le bonheur de suivre les cours de Pierre Brunel en littérature comparée sur Don Juan, c’était il y a bien longtemps mais j’en conserve un souvenir très fort, et toutes mes versions de Don Juan sont en bonne place dans ma bibliothèque, c’est-à-dire toujours à portée de main. Nostalgie quand tu nous tiens… 🙂
Bonne journée
Anne
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Oh là là, Brunel et Don Juan, ce devait être passionnant !
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Ah Pierre Brunel ! Ah Michel Butor ! Moi aussi je suis une comparatiste (le mythe de Psyché en sujet de maîtrise) mais je n’ai pas eu la chance de suivre les cours de Brunel.
Bon là, on n’a pas trop de deux mains pour lire les deux livres à la fois si j’ai ben compris…
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Voilà, c’est un peu l’idée… Mais du coup ça rappelle des souvenirs !
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J’ai étudié La Modification de Butor à la fac, un bon souvenir. C’est vrai, ça nous rend nostalgique de dépoussiérer nos livres d’étudiante!
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Et comment !
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Je ne suis pas un grand fan de Butor (je lui préfère largement Robbe-Grillet) mais là tu m’intrigues sacrément, moi qui aime les labyrinthes littéraires…
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J’aime les deux ! Et effectivement, si tu aimes les labyrinthes, ça devrait te plaire !
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C’est très juste et comme toi j’aime raviver mes neurones en reprenant des cours d’autrefois, de ceux dont on garde un souvenir admiratif. De Butor j’avais aimé « La Modification » mais un peu moins en le relisant! Celui-ci me tente, tiens!
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C’est très stimulant !
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Merci pour la référence de Pierre Brunel, j’ai beaucoup lu l’Emploi du Temps et je pense que, pour le coup, je vais me repencher sur la question
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Ah oui, si tu connais bien l’ouvrage, ça devrait te plaire !
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Je sens qu’on ne va pas être copains, là. Tu as déjà lu de vrais livres pourtant. Comment te fais-tu avoir avec de tels attrape-nigauds ? Butor, Robb-Cramé, tout ça, c’est des escrocs (surtout le second, d’accord, un vrai pervers cynique qui a passé son temps à humilier), qui vendent du vide et rien d’autre. Il n’y a pas plus opposé à l’idée que l’on se fait communément de la lecture. A moins d’être snob et grégaire, je ne vois pas comment on peut frétiller en ouvrant ces blocs de papier. Franchement, ça m’épate.
Et l’Emploi du Temps, je l’ai lu parce qu’il était au programme en prépa. L’horreur. On n’en pouvait plus. Il y a même une métaphore foireuse avec une asymptote dedans, l’auteur se prend les pieds dans le tapis, ce n’est pas beau à voir. Un vrai singe sur une machine à écrire, celui-là.
Mais j’ai remarqué que c’était une pierre de touche : ceux qui disent aimer ce genre de livres sont plus souvent que les autres des esclaves des goûts d’autrui, et certains ne lisent que « pour avoir lu » « parce qu’il faut connaître » « quil faut essayer », et rarement par vrai « plaisir », ou « parce que c’est chouette » (et s’ils l’affirment, c’est creux, pas ressenti réellement). (Je ne généralise pas cependant).
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Hummmmmm *zen* je t’ai déjà dit que ce n’est pas parce que tu n’aimais pas (ne comprenais pas ?) quelque chose que tu devais te sentir autorisé à traiter ceux qui l’appréciait de débiles ou de snobs !!!
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Non bien sûr, et je ne le fais jamais; En revanche, les snobs, ça existe, ils aiment tel type de choses, et il se trouve que ce sont des choses que je n’aime pas, et il m’arrive parfois d’en parler, sans qu’il y ait de lien de cause à effet entre mes goûts et leur qualité de snob. Capito ?
Tu auras du mal à défendre l’idée auprès de gens raisonnables que Butor n’est pas pour les snobs. Mais ça ne m’empêche pas de t’apprécier toi par ailleurs. Bises.
Au fait, j’ai une amie typographe qui va imprimer un texte de lui écrit spécialement, en tirage limité. Si ce n’est pas trop cher, je t’en enverrais un exemplaire.
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Ne te ruine pas !
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Pour toi, ça ne risque pas, eh.
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Ma lecture remonte loin aussi, ça vaudrait presque le coup de le relire, avant de me pencher sur celui de Brunel, tu me donnes envie, moi qui n’ai pas fait de littérature à l’université à mon grand regret… (le droit c’est moins sexy ^^)
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Disons que ça doit surtout être moins passionnant…
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J’ai toujours eu peur de lire Butor.
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Il ne faut pas, il ne mord pas ! Blague à part, celui-ci n’est sans doute pas le plus accessible, mais la Modification n’est pas très difficile !
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J’ai lu ce roman il y a, euh, quelques années, comme ça, et je n’ai sûrement pas tout compris , mais comme je l’ai lu en entier, c’est qu’il me plaisait suffisamment. J’ai même prévu d’en lire un autre de l’auteur (celui du voyage en train, mais un jour, un jour ^_^)
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Ah, la Modification… Ce n’est pas très long !
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Beaucoup des précédents commentaires faisant référence à des lectures dans la cadre d’études littéraires me fait penser que ces essais ne sont pas pour moi…
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Mais si ! Bon celui-là est assez difficile mais il y en a plein qui sont accessible pour toi j’en suis sûre ! Pas de complexes !
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Le commentaire de la personne pas très gentille m’a bien fait rire. Butor pour les snobs. C’est vrai, je n’en ai lu qu’un : La modification. Mais j’ai beaucoup aimé (et je ne suis pas snob). En revanche, Robbe-Grillet…
J’ai lu ton billet avec admiration. Je n’aimais pas du tout le français au lycée (pour moi, c’était une arnaque et pas uniquement parce que j’étais nulle), alors, lire ce genre d’essai, c’est au-dessus de mes forces. Mais je tenterai bien le Butor.
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Les essais, ça dépend vraiment : il y en a de très accessibles
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Un roman acheté pendant mes études, jamais lu et qui m’effraie. Euh, je ne suis pas sûre que c’est ton billet qui va me rassurer, toutes ces notions d’analyse sont bien loin !!!
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C’est pour ça que je les réactive de temps en temps
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