Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 1970.
Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace.
Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort.
N’ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.
Il ou elle écrit autrement. Pour l’observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet. Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de « dactylo ».
Loin des tristes sires qui déplorent « le bon vieux temps » et nous assènent des « Ah ben c’était mieux avant, ma bonne dame » à longueur de journée, Michel Serres, en nouveau Voltaire mondain, fait au contraire l’éloge de notre époque, où l’on vit mieux, plus longtemps, moins malades, sans guerres, en tout cas en France. Un nouvel humain est né, nouvel humain que nous devons apprendre à connaître, si nous voulons avoir la possibilité de lui enseigner quoi que ce soit, car c’est bien, ici, une posture d’enseignant qu’adopte Michel Serres, appelant tendrement « petit poucet » et « petite poucette » ces humains 2.0.
La principale caractéristique de ces mutants, c’est finalement celle induite par les nouvelles technologies, qui ont marqué la fin de l’ère du savoir centralisé et détenu par les Experts que sont les enseignants, et l’avènement du savoir qui circule. Que fait-il d’autre, ce poucet, finalement, lorsqu’il transporte son ordinateur, que ce qu’avait déjà fait saint Denis il y a des siècles : tenir sa tête sous son bras ? La cognition est devenue externe, qu’on se le dise, et il n’est plus utile de s’encombrer l’esprit avec des faits qu’on retrouvera en cinq minutes sur l’ordinateur. Et, magie de la sérendipité, on en apprend parfois bien plus que ce qu’on cherchait.
Même si je ne suis pas totalement d’accord avec tout ce que dit Michel Serres, que je juge peut-être un peu trop enthousiaste dans son éloge de la modernité (alors même que je suis pourtant une geekette résolue), j’ai trouvé ce court essai passionnant, stimulant, gai et plein d’humour, et finalement à mettre entre toutes les mains : celles des petits poucets et poucettes, de leurs maîtres, de leurs parents et grands-parents.
Petite Poucette
Michel SERRES, de l’Académie Française
Le Pommier, 2012
Intéréssant. Je l’ai vu sur le bureau de ma collègue hier, je vais lui piquer 🙂 Bises, belle journée.
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Ah oui, n’hésite pas, d’autant qu’il est court !
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Je ne doute pas que ce soit passionnant (et que l’on puisse avoir des réticences face à l’enthousiasme de M. Serres^^).
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En même temps, vu son âge, cet enthousiasme est plutôt attendrissant !
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Michel Serres il a cet enthousiasme et cet optimisme qui donne envie de foncer 🙂
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Oui, c’est tout à fait ça !
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