La Grande Maison, de Nicole Krauss

Tu es perdue dans ton monde, Nadia, dans ce qui arrive là-bas, et tu as fermé toutes les portes à clef. Quelquefois, je te regarde dormir. Je me réveille, je te regarde, et je me sens plus proche de toi quand tu es comme ça, sans défense, que lorsque tu es éveillée. Quand tu es éveillée, on dirait que tu as les yeux fermés et que tu vois un film derrière tes paupières. Je ne peux plus t’atteindre.

Il y a deux mois, j’avais découvert avec beaucoup de plaisir L’Histoire de l’amour et je m’étais dit qu’il était évident que je ne tarderais pas à lire également le dernier roman de Nicole Krauss, tant j’avais admiré sa maîtrise. Et comme vous pouvez le constater, je n’ai vraiment pas tardé.

La Grande Maison est un roman choral, assez déstabilisant de prime abord. Quatre fils narratifs y alternent : Nadia, un écrivain New-Yorkais, s’adresse à un juge et lui raconte son histoire ; en Israël, un père s’adresse à son fils, Dov, qu’il a toujours eu beaucoup de mal à comprendre ; en Angleterre, Arthur parle de sa femme Lotte, qui était écrivain ; en Angleterre également, Isabel parle de son compagnon Yoav.

Entre ces êtres, des liens ténus se tissent.

De par sa construction admirable et parfaitement maîtrisée, ce roman invite le lecteur à rassembler les pièces d’un puzzle complexe, afin de retrouver les liens qui unissent les personnages.

Il y a ce bureau mystérieux, qui voyage des uns aux autres, sur lequel les écrivains travaillent et qui impressionne leur entourage. Certains se croisent.

Mais l’essentiel n’est pas là : l’essentiel, on le trouve dans les replis de la conscience de chacun. Tous ces personnages ont en commun d’être incompris : artistes, solitaires ou simplement rêveurs, ils se murent dans le monde intérieur qui est le leur et où leur entourage a du mal à les atteindre. Mystérieux même pour ceux qui les aiment le plus, c’est comme s’ils absorbaient toute la souffrance du monde.

L’un des grands mérites du roman est justement de donner la parole essentiellement à ces autres, père ou amoureux, qui souffrent du silence et du repli sur soi de celui ou celle qu’ils aiment.

L’atmosphère est donc lourde et sombre, parfois anxiogène, d’autant que plane toujours sur ces êtres l’ombre de la Shoah. Mais c’est brillant, extrêmement bien écrit, les pages sur la création littéraire sont absolument essentielles, et par ce roman Nicole Krauss transforme l’essai : elle sera sans nul doute un des auteurs majeurs du XXIème siècle.

La Grande Maison (lien affilié)
Nicole KRAUSS
L’Olivier, 2011 (Points Seuil, 2012)

10 commentaires

  1. clara dit :

    Un livre adoré et quelle construction !

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    1. L'Irreguliere dit :

      Ah oui, la construction est impeccable !

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  2. Elora dit :

    L’extrait m’interpelle particulièrement. Je ne connais pas du tout l’auteur. Je le note.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Un auteur qui mérite d’être découvert, vraiment !

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  3. jerome dit :

    Je ne connais pas du tout Nicole Krauss mais ton enthousiasme me laisse à penser que c’est une erreur !

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    1. L'Irreguliere dit :

      Elle a encore peu publié, seulement deux romans traduits (son premier ne l’est pas) mais franchement, pour moi, elle a de l’avenir !

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  4. chaplum2 dit :

    Comme toi, j’ai adoré L’histoire de l’amour. Mais qu’est-ce que j’attends pour lire celui-ci ?????

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    1. L'Irreguliere dit :

      Ben oui alors ?

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  5. eSseL dit :

    Ah… j’avais adoré L’Histoire de l’amour moi aussi, et ce roman me nargue depuis pas mal de temps puisque je l’ai acheté pour le lycée…

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    1. L'Irreguliere dit :

      Ah ben oui, il faut le lire !

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