Il prétend qu’avec mon aide il parviendra à faire publier son roman et à trouver sa place parmi les grands écrivains de l’époque. Nous fréquenterons des gens de lettres et ses amis de Princeton que je trouverai délicieux, il en est persuadé. Tôt ou tard, nous aurons des enfants. Dans l’intervalle, nous nous gaverons de nos distractions préférées : la musique et la danse, le théâtre et le music-hall. Nous vivrons une aventure — l’aventure, voilà un mot qui agissait sur nous comme un charme.
Cela faisait bien longtemps que j’avais envie de lire un texte sur Zelda Fitzgerald, tant elle me fascine, et la sortie de cette biographie romancée était le moment parfait, d’autant qu’elle coïncide avec ma lecture de Gatsby et la sortie du film de Baz Luhrmann : les Fitzgerald sont décidément à la mode. Evidemment, une biographie romancée n’est pas tout à fait une biographie, et il est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui est de l’ordre des événements ayant effectivement eu lieu, et ce qui est de l’ordre de l’invention romanesque et du fantasme de l’écrivain. Mais peut-être finalement que cela importe peu : je fais confiance aux écrivains pour être dans le vrai à défaut d’être dans le réel !
Zelda Sayre est une jeune fille exubérante et non conventionnelle, dont les audaces détonnent un peu dans la bonne société de Montgomery, dans l’Alabama, dont elle est issu. Lorsqu’elle rencontre Francis Scott Fitzgerald, celui-ci est soldat et ne parvient pas à faire publier le roman qu’il a écrit. Mais c’est le coup de foudre, et tous deux espèrent pouvoir un jour se marier et vivre à New-York, lorsque Scott sera un écrivain reconnu. C’est bientôt chose faite, et ils se marient en 1920, pour le meilleur et pour le pire…
Avec beaucoup de talent, la romancière parvient à se glisser dans la peau de son personnage et à lui donner une voix, une voix intime et attachante, celle d’une jeune femme éprise de liberté et à l’imagination débordante, celle d’une véritable artiste, animée par la passion. Avec Scott, ils incarnent à merveille les années folles, étourdis qu’ils sont de champagne, de fêtes et d’insouciance : ils cueillent le jour d’une vie plutôt dissolue et au-dessus de leurs moyens, une vie de bohème chic, stimulante intellectuellement, comme une ronde folle. Mais ils sont instables tous les deux, Scott alcoolique et pas très acharné au travail, et Zelda pas toujours satisfaite de cette vie sans attache, d’autant que tout l’empêche de trouver son moi créateur, à commencer par la pesanteur de cette société qui veut qu’une femme doive trouver son bonheur dans le fait de s’occuper de son mari et de ses enfants, et rien d’autre. De quoi devenir folle, c’est certain. Ici, on est au coeur de ce que je disais l’autre jour à propos des couples d’artistes : l’un, souvent l’homme, écrase l’autre. Car le grand drame de Zelda, ce qui l’a sans doute conduite à la folie, c’est de ne pouvoir être que Madame Fitzgerald, et même les nouvelles qu’elle écrit son publiées sous son nom à lui, car cela rapporte plus. Mais ne blâmons pas trop vite Scott : l’intérêt de ce roman, c’est d’arriver à ne pas prendre parti, et si le chef de file de la Génération Perdue est montré ici sans fard, alcoolique et égoïste, on le voit aussi hypersensible, peu sûr de lui et sincèrement attaché à Zelda. Car Scott et Zelda, c’est l’histoire d’une autodestruction conjointe. En chimie, il y a des produits qu’il ne faut pas mélanger, car inoffensifs séparément, ils deviennent explosifs lorsqu’ils sont mis en présence l’un de l’autre. Tels étaient Scott et Zelda. Et les raisons pour lesquels ils sont tombés amoureux l’un de l’autre sont aussi celles qui les ont détruits, car chacun a finalement été le révélateur voire le catalyseur des faiblesses de l’autre. Scott a aimé cette jeune fille qui ne respectait pas les conventions, et pourtant il a cherché toute sa vie à éteindre cette petite flamme, car il aurait sans doute eu besoin d’une épouse qui lui soit entièrement dévouée. Quant à Zelda, elle a aimé son grand écrivain, sans réaliser qu’elle ne pourrait jamais supporter d’être dans son ombre. Les deux sont responsables du drame. Mais pas coupable.
Entre les deux Fitzgerald, on retrouve Hemingway. Ah, Hemingway : son portrait était déjà peu flatteur dans Madame Hemingway, que ce roman complète d’ailleurs parfaitement : même époque, même Paris, mêmes protagonistes, autre point de vue (d’autant que la période racontée ici est évidemment beaucoup plus longue). Ici, Hemingway apparaît comme une ordure de la pire espèce, assez responsable dans le naufrage du couple Fitzgerald (qui n’avait pourtant besoin de l’aide de personne).
Un très beau roman, qui ressuscite une femme fascinante et une époque, et qui ravira ceux qui veulent se plonger dans les années folles et la tourbillonnante vie d’un couple mythique !
Z. Le Roman de Zelda
Therese Anne Fowler
Michel Lafon, 2013
By Asphodèle
Je l’ai reçu en SP, il y a une semaine mais je n’ai pas encore eu le temps de m’y mettre ! Hemingway, ha lala, Zelda le détestait et il le lui rendait bien !!! Très beau billet !
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Merci ! Bonne lecture !
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Très bonne analyse de ce roman que je viens de terminer. Si la première partie ne m’a pas étonnée parce que l’histoire de ce couple mythique est assez connue, j’ai ensuite effectivement apprécié cette analyse qui explore les raisons de ce qui a uni et desuni le couple.
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Oui, c’est très intéressant !
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