Parfums, de Philippe Claudel

Autobiographie olfactive

En dressant l’inventaire des parfums qui nous émeuvent — ce que j’ai fait pour moi, ce que chacun peut faire pour lui-même —, on voyage librement dans une vie. Le bagage est léger. On respire et on se laisse aller. Le temps n’existe plus : car c’est aussi cela la magie des parfums que de nous retirer du courant qui nous emporte, et nous donner l’illusion que nous sommes toujours ce que nous avons été, ou que nous fûmes ce que nous nous apprêtons à être. Alors la tête nous tourne délicieusement.

Avec un titre pareil, qui me fait si délicieusement penser à mon cher Baudelaire et à son obsession pour les odeurs (Baudelaire qui n’est d’ailleurs pas absent du livre, on s’en doute), je ne pouvais bien évidemment pas passer à côté de ce texte. Les parfums ont une telle importance dans ma vie que cela eut été comme commettre un crime…

Ce texte est un abécédaire des odeurs qui portent en elles les souvenirs, de l’Acacia au Voyage, en passant par l’ambre solaire, le jeune enfant qui dort, le sexe des femmes, le pull de l’oncle disparu ou les bocaux de sauce tomate…

Abécédaire des odeurs

Alors, avant tout, j’ai envie de dire que le titre prête un peu à confusion. Pour moi, « parfum » connote quelque chose d’agréable, lorsque « odeur » est neutre. Moins joli et poétique, ce dernier mot cependant correspondrait mieux au propos de l’ouvrage : car j’ai du mal à appeler « parfum » ce qui se dégage des pissotières, voyez. Mais enfin…

A part ce petit souci de vocabulaire, j’ai énormément apprécié ce texte. Je trouve que rien n’est plus difficile à évoquer qu’une odeur, un parfum, par essence évanescent et impalpable, et donc indescriptible.

Mais la description n’est pas ici l’enjeu : l‘odeur est prétexte, support à la remémoration, au souvenir. Des petites choses, des petits détails. L’ensemble est touchant, et nous montre qu’en la matière, point de plaisir universel : certaines odeurs évoquées me retournent le cœur, quand d’autres manquent.

Il s’agit réellement d’une cartographie intime, parfois synesthésique lorsque le parfum se fait couleur ou son par le biais d’un vagabondage imaginaire. Car, oui, l’odeur fait voyager, dans l’espace et dans le temps.

J’ai vu des critiques concernant la brièveté des textes. Je le conçois, mais au contraire je suis pour ma part plutôt sensible à ces instantanés et à cette poétique du fragment qui, je trouve, correspond bien à la nature du souvenir, fugace. Cela n’a pas été sans me rappeler, d’ailleurs, la magnifique Autobiographie des objets de François Bon.

Parfums (lien affilié)
Philippe CLAUDEL
Stock, 2012

29 commentaires

  1. cartonsdemma dit :

    J’aime tout ce que j’ai lu de cet auteur pour l’instant. Je note

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    1. L'Irreguliere dit :

      C’est vraiment un beau moment !

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  2. Luise Y. dit :

    Très curieuse de découvrir ce livre !

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    1. L'Irreguliere dit :

      Il est très intéressant !

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  3. Syl. dit :

    On lui reproche une brièveté ? C’était parfait pour moi !
    J’ai beaucoup aimé.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Je ne sais pas pourquoi tes commentaires atterrissent toujours dans les indésirables ^^

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  4. Alpha dit :

    Je pense comme toi, mais j’ai un problème pour faire la liste des parfums qui m’émeuvent. L’un de ceux qui me bouleversent le plus est celui d’un amour de lycée, et je n’en connais pas le nom. Je ne crois pas que ce soit un parfum bien onéreux, et je ne me vois pas aller renifler tous les comptoirs d’un grand magasin jusqu’à trouver le bon. Un jour, quinze ans après, j’ai senti une femme qui le portait dans la rue et je me suis retourné, mais au dernier moment, j’ai hésité et je ne lui en ai pas demandé le nom, parce qu’elle était incroyablement moche et que ça m’a arrêté dans mon élan. Je ne sais toujours pas comment il s’appelle, et j’ai même fait des cauchemars à cause de ça : j’imaginais que j’étais évanoui et incapable de communiquer et que seule cette odeur parfumée qu’on me ferait respirer d’une petite fiole comme on faisait autrefois des sels d’ammoniaque pour rappeler à eux les commotionnés, pourrait me tirer de là. Et personne ne savait le nom de mon amour de jeunesse.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Si ça t’obsède à ce point, il faudrait que tu trouves ! C’est pas Anaïs-Anaïs (classique du lycée) ?

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  5. Ce titre m’a fait penser au Parfum de Suskind. L livre qui m’a redonnée goût à la lecture. La couverture aussi est très belle! Ce voyage dans les odeurs dont tu parles me tenterait bien

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    1. L'Irreguliere dit :

      Ah, le parfum, j’adore ce roman aussi !

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  6. sylire dit :

    C’est vrai que je suis moins enthousiaste que toi. J’ai sans doute mis la barre trop haut s’agissant de Claudel. Tu as lu autre chose de lui ?

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    1. L'Irreguliere dit :

      De fait, non, donc c’est vrai que je n’avais pas d’attentes particulières…

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  7. a_meli_melow dit :

    rien que pour la couverture (j’adore Klimt) et parce-que ç’est Claudel, j’ai envie d’acheter ce livre…

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    1. L'Irreguliere dit :

      C’est vrai que ce tableau est magnifique !

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  8. aliasnoukette dit :

    Pas convaincue que ce livre soit fait pour moi… Pourtant, j’aime la plume de l’auteur…

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    1. L'Irreguliere dit :

      A voir, alors…

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  9. Fleur dit :

    J’ai apprécié ce roman au bout de plusieurs dizaines de pages car j’ai été déçue par le manque de description de parfums.

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    1. L'Irreguliere dit :

      Le parfum est très difficile à décrire, de fait…

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  10. Valérie dit :

    Une vraie déception pour moi et pourtant, ayant adoré son texte nostalgique dans Etre père, disent-ils, je pensais vraiment aimer.

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  11. liliba2 dit :

    Je viens de le terminer et j’ai adoré cette balade olfactive. Quelle écriture !

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    1. L'Irreguliere dit :

      Oui, j’ai beaucoup apprécié !

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  12. Géraldine dit :

    Je lis le pire et le meilleurs sur ce lire… A voir, si un jour je le sens ! lol

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