Les Lisières, d’Olivier Adam

Les Lisières, d'Olivier Adam

Aux lisières de sa propre existence

Tu n’es jamais là, disait toujours Sarah. Vivre avec toi c’est vivre avec un fantôme. Tu n’es jamais là. Jamais vraiment. Il faut toujours te répéter trois fois la même chose. La première pour que tu t’aperçoives de ta présence ici. La seconde de la nôtre. La troisième pour que tu écoutes pour de bon. Et encore. C’est épuisant à la fin. Un jour tu es dans tes livres. L’autre tu te perds dans la contemplation des étendues. Mais jamais tu n’es là, ici, avec nous.

C’est un des romans dont on parle le plus en ces temps de Rentrée Littéraire. Une sorte d’impératif qui ne laisse personne indifférent, et dont avant même de le lire j’aurais parié (et je ne suis pas la seule) qu’il aurait le Goncourt.

Si on devait faire le bilan de la vie de Paul Steiner, le narrateur, il ne serait pas brillant. Sa femme l’a quitté et chassé du Paradis qu’il croyait avoir enfin trouvé dans les Finistères, il l’aime encore, et ne voit plus ses enfants qu’un week-end sur deux, ce qui lui brise le cœur. Sa mère est à l’hôpital et il doit quitter la Bretagne pour la banlieue parisienne, où il a grandi mais ne s’est jamais senti chez lui.

Si on ajoute à cela un terrain dépressif et une nette tendance à l’alcoolisme, non, vraiment, le bilan n’est pas brillant. Paul se sent aux lisières de sa propre existence, l’écriture même ne parvenant plus à le raccrocher au monde.

Inapte à la médiocrité du quotidien

Le moins que l’on puisse dire des romans d’Olivier Adam, c’est qu’ils nous en mettent plein la gueule, si je puis m’exprimer ainsi. A vrai dire, cela donne envie de s’enfiler la boîte d’anxiolytiques, au moins.

Ce n’est donc certainement pas de la littérature consolatrice (et on comprend donc pourquoi Busnel adore). Mais c’est imparable : j’aime. J’aime, parce qu’Olivier Adam crée toujours un écho assourdissant en moi, et dans ce roman plus que jamais.

J’aime ce héros écorché vif, vivant à côté du monde et non dedans, absent à tout et à lui même, qui ne sait pas où est sa place, qui ne se sent chez lui nulle part. Sans doute par de nombreux côtés me ressemble-t-il beaucoup. Et ce mal-être existentiel, ce motif obsédant de l‘absence à soi-même, le lecteur se le prend, nécessairement, de plein fouet, d’autant qu’il est intrinsèquement lié à une réflexion profonde sur l’écriture.

L’écriture dans la vie du narrateur, en ce qu’elle est ce qui tend à le raccrocher au monde, à le lui rendre palpable et réel — mais, de fait, depuis qu’Elle n’est plus là, il ne parvient plus à écrire.

Aussi, et surtout, l’écriture et l’entourage : face à ses parents, son frère, ses anciens amis, le narrateur se prend en pleine figure leur réaction négative devant ses œuvres où il creuse ce que pourtant il a de plus intime ; et la culpabilité l’assaille : écrire lui fait du bien, mais fait du mal aux autres qui ne supportent pas l’image qu’il donne d’eux.

Littérature geignarde, déprimante, accusatrice, que l’on rend coupable de tous les maux. Qu’a-t-il besoin de se plaindre toujours ainsi ? Et puis d’abord, pourquoi s’est-il toujours vautré avec complaisance dans la mélancolie et le refus du monde ?

Asocial, notre narrateur est inapte au quotidien. Il n’est surtout pas fait pour le monde et sa médiocre matérialité, le travail, les banlieues, le RER, les meubles IKEA, il n’est pas fait pour le réel, sa vulgarité et ses compromis. Mais ce n’est pas une tare.

Lui, il est fait pour « habiter poétiquement le monde« , et ça, ce n’est pas rien. Alors comment s’étonner qu’aux cités-dortoir il préfère la Bretagne et la mer, que là il a le sentiment d’avoir trouvé un lieu où il se sent chez lui, alors que pourtant il n’y a pas ses racines ? Chez soi, c’est le lieu que l’on s’est choisi !

Trouver la clé

Mais pourquoi est-il comme ça ? Cette question m’a beaucoup fait réfléchir, et je trouve finalement, et c’est mon seul bémol, que la question du secret familial est une ficelle un peu facile quand on a le talent d’Olivier Adam.

Une ficelle un peu facile donc, pour expliquer certaines obsessions, le doute, le manque de quelque chose. A vrai dire, je ne sais pas trop, cela m’a évidemment beaucoup troublée (je ne peux pas en dire plus pour ne pas spoiler, mais c’est lié à un de mes propres thèmes obsédants, ceux qui ont lu le roman comprendront peut-être — et cela m’a d’autant plus perturbée que lorsque j’ai lu ce roman, je venais d’en terminer un dont la clé était la même).

Disons que j’ai trouvé intéressante cette idée de pouvoir un jour trouver cette « clé » de soi, moi qui cherche tant la mienne : lorsqu’on prend conscience de quelque chose qui était jusque-là caché, on a l’impression que tout va se résoudre comme par miracle.

J’ai souvent eu cette impression en écrivant mon roman, mais malheureusement le miracle n’a pas eu lieu. C’est la raison pour laquelle, sans doute, je ne suis pas entièrement convaincue par cet aspect, mais j’ai peut-être tort.

Reste que ce roman est magistral, du grand Olivier Adam, difficile, perturbant, mais en même temps lumineux !

Les Lisières (lien affilié)
Olivier ADAM

5 commentaires

  1. Leiloona dit :

    C’est vrai que la recherche du double était un ressort dramatique inutile …

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    1. L'Irreguliere dit :

      Pas inutile, mais un peu artificiel…

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