Je vous parlais mercredi de l’essai de Pierre Bayard Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? et je souhaitais revenir aujourd’hui sur deux concepts qui m’ont particulièrement intéressée, de par les implications qu’ils ont sur les blogs littéraires notamment, et plus généralement sur la manière dont nous percevons l’activité de lecture.
Le premier est celui de « bibliothèque intérieure ». Comme nous l’avons vu, devant l’infinité des lectures possibles, il est impensable de tout lire, et il faut donc faire des choix. Ce sont ces choix qui permettent de constituer la « bibliothèque intérieure », qui sera toujours différente d’un être à l’autre. La bibliothèque intérieure, c’est l’ensemble des livres lus par un individu, et qui l’ont marqué, infléchissant son rapport au monde : « On pourrait nommer bibliothèque intérieure cet ensemble de livres […] sur lequel toute personnalité se construit et qui organise ensuite son rapport aux textes et aux autres. Une bibliothèque où figurent certes quelques titres précis, mais qui est surtout constituée, comme celle de Montaigne, de fragments de livres oubliés et de livres imaginaires à travers lesquels nous appréhendons le monde ».
Venons-en maintenant au concept de « livre intérieur », qui est le corollaire du précédent : si la bibliothèque intérieure façonne notre être et notre imaginaire, infléchissant notre manière de lire les textes, il y a fort à parier que chaque individu lira une oeuvre différemment de ceux qui l’ont lue aussi, puisque si lire c’est se projeter, il n’y projettera pas les mêmes éléments. D’autant que la bibliothèque intérieure n’est pas seule en cause ici : il y a aussi l’expérience, le vécu, les croyances d’un individu, qui font que le texte résonnera de manière unique en lui. Le livre intérieur, c’est le livre parfait, conforme à soi, qui fait écho en nous et que nous construisons au fil de nos lectures : « Tissé des fantasmes propres à chaque individu et de nos légendes privées, le livre intérieur individuel est à l’oeuvre dans notre désir de lecture, c’est-à-dire dans la manière dont nous recherchons puis lisons les livres. Il est cet objet fantasmatique en quête duquel vit tout lecteur et dont les meilleurs livres qu’il rencontrera dans sa vie ne seront que des fragments imparfaits, l’incitant à continuer à lire ».
Partant de ces principes, qu’en est-il de la critique littéraire, puisque nous ne lisons jamais le même livre que les autres, même si le titre sur la couverture est le même ? C’est là qu’entre en scène la conception wildienne de la critique : pour l’écrivain, celle-ci est une activité intransitive, dont le support importe peu, puisqu’elle vise avant tout à parler de soi. Wilde va jusqu’à affirmer finalement que le critique doit se passer des livres, qui risquent de lui faire perdre son objet essentiel. Nous n’irons pas jusque-là, mais néanmoins, lorsque Bayard affirme que « le chemin vers soi-même passe par le livre » et que « La critique est la voix de l’âme, et c’est cette âme qui est son objet profond », il est dans le vrai. Et cela me semble particulièrement parlant pour les blogs. Le critique littéraire professionnel ne choisit pas les livres qu’il présente, alors que nous, blogueurs, parlons bien de nous-même en exposant nos choix et en disant quelles oeuvres résonnent en nous, ou pas ! En tout cas, c’est ainsi que je vois les choses…
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